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vendredi 9 juillet 2021

John McCabe - McCabe & Mrs. Miller, Robert Altman (1971)

En 1902, John McCabe, joueur de poker et propriétaire d'une mine à Presbyterian Church, dans l'Ouest américain s'associe à Constance Miller, une prostituée avec qui il ouvre un bordel. La mine prospère si bien qu'une puissante compagnie souhaite la racheter. Les négociations sont rompues. La compagnie envoie des tueurs.

John McCabe s'inscrit dans la déconstruction des genres à l'œuvre dans le cinéma américain du Nouvel Hollywood, et à laquelle participa justement Robert Altman avec son brillant MASH (1970). Le film est à l'initiative du producteur David Foster cherchant à adapter depuis 1968 le roman McCabe de Edmund Naughton's publié en 1959. Un premier script est rédigé en 1969 et David Foster ayant eu l'occasion d'assister à une projection interne de MASH avant sa sortie est convaincu que Robert Altman est le candidat idéal pour diriger le film. Ce n'est cependant qu'après le succès commercial et critique de MASH que Foster et Altman iront solliciter une Warner forcément plus avenante. Altman propose initialement le rôle de John McCabe à Eliott Gould qui décline car ayant des réserves sur le premier choix du réalisateur pour le lead féminin, Patricia Quinn. Les choses se décantent grâce à l'engagement de Warren Beatty avec dans son sillage Julie Christie, sa compagne à la ville, ce qui initiera pas mal de réussites des deux ensembles à l'affiche comme Shampoo de Hal Hashby (1975) ou Le Ciel peut attendre (1978). 

Cette déconstruction du western s'initie dès les premières images. John McCabe n'invente certes pas le western enneigé (La Chevauchée des bannis de André de Toth (1959) et quelques autres sont passés par là) ni même la description plus sale et réaliste de l'Ouest amorcée dans le western spaghetti et prolongée dans les films américains suivants. Néanmoins on perd réellement la notion de grands espaces, et par conséquences de conquête et donc dimension épique implicite du genre en voyant le cadre rural terreux et exigu (magnifiquement capturé par la photo de Vilmos Zsigmond) où se déroule l'histoire. Les ritournelles folks de Leonard Coen apportent une veine mélancolique, distanciée et intimiste qui inscrive déjà cette conquête dans quelque chose de décalé, sortant des canons western. Et pour cause le grand projet du héros John McCabe (Warren Beatty) est de s'enrichir en ouvrant un bordel dans une petite ville à proximité d'une exploitation de mine. L'entreprise n'a évidemment rien de glorieux et John McCabe par un semblant de raffinement de pacotille fait initialement illusion face aux pauvres bougres qu'il rencontre. 

On retrouve le traitement sonore "cacophonique" à la MASH pour faussement le mettre en valeur, quand il débarque tout en sourire et arrogance dans un saloon où il régale l'assistance et entame une partie de poker. Altman laisse la rumeur circuler dans le lieu et établir la supposée légende qui entoure McCabe. Cependant le projet est à la hauteur des modestes aptitudes 'd'entrepreneur" de notre héros avec des prostituées peu avenantes attirant des autochtones qui ne le sont pas moins sous des tentes. La fracassante arrivée de Constance Miller (Julie Christie) prostituée plus haut de gamme et ambitieuse ramène McCabe à ses limites sociales et intellectuelles le temps de quelques échanges savoureux (cette réplique cinglante sur son hygiène et son parfum sentant trop fort). Dès lors l'association des deux va donner un résultat plus lucratif où les clients trouvent une sorte d'échappée tape à l'œil et rococo qui les évadent vraiment de leur environnement sinistre et où ils daignent dépenser leur paie fraîchement encaissée.

Altman introduit des notions étonnement progressistes et intimiste contredisant ce qui apparait comme un contexte glauque. En voyant le personnage de Shelley Duvall livrée en pâture à un époux plus âgé et impotent qu'elle n'avait jamais vu, on constate dans le cadre du récit que quitte à se donner par nécessité à un homme, la prostitution constitue au moins une libre et lucrative entreprise pour les femmes. Cela est représenté par un autoritaire et géniale Julie Christie, attentive à tous les détails. Le passé difficile qui a amené le personnage à cette situation se devine implicitement par le cocon qu'elle se crée dans la solitude de sa chambre, fait de volutes d'opium et de la ritournelle d'une boite à musique. Cette dimension enfantine et vulnérabilité se ressent aussi dans les attitudes de McCabe perdu entre beuverie et partie de carte sans but. Peu à peu sous cette logique intéressée on ressent le rapprochement et l'amour naissant des personnages, masquant leurs sentiments sous une logique économique. Ainsi McCabe paie comme tout autre client pour passer la nuit avec Constance Miller, celle-ci maintenant ainsi cette distance invisible entre eux. Warren Beatty est très touchant de maladresse, notamment dans ses attitudes viriles forcées dont Constance n'est pas dupe. 

La réussite de l'entreprise et la romance fragile sont bientôt rattrapées par les maux de la violence de cet Ouest et des débuts du capitalisme moderne. C'est précisément l'absence du cynisme dont on aurait pu les soupçonner qui va perdre le couple mais aussi les unir. McCabe décline l'offre généreuse de reprise de son affaire pour se montrer sous un meilleur jour aux yeux de Constance, et cette dernière refuse de partir et reprendre sa part par inquiétude pour McCabe face aux menaçants repreneurs. Altman déleste de tout héroïsme et flamboyance la loi du plus fort inhérente à l'Ouest avec un climat délétère où la violence verbale et physique s'abat de façon totalement gratuite et cruelle. Cette menace autorise enfin la vraie tendresse (la magnifique et maladroite déclaration de McCabe) mais aussi la fin du rêve pour le couple. La conclusion donne dans un panache funeste pour McCabe où ne reste que la mélancolie opiacée pour Constance, avec comme seule et hypocrite valeur persistante cette église sauvée des flammes par les villageois.  

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

2 commentaires:

  1. Un excellent Robert Altman, avec cette musique de Leonard Cohen qui nous plonge direct dans l'ambiance. Magistral ! Il y a tellement de films que j'adore de ce réal,3 femmes, That Cold Day in the Park, Le Privé, Nashville... Bref un grand réal' !

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    1. Grave la musique de Leonard Coen pose toute de suite l'ambiance malancolique et cotonneuse. Grand amateur d'Altman aussi, un peu négligé sur le bog pour l'instant où je n'ai chroniqué que Le Privé. Il faudra y remédier ^^

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