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lundi 5 juillet 2021

Passion - Zui ai, Sylvia Chang (1986)

Deuxième réalisation de Sylvia Chang, Passion est l'œuvre qui va l'imposer aux yeux de la critique à travers les nombreuses nominations et récompenses récoltées en Asie. On trouve là cet attrait pour le mélodrame et l'observation sensible de la condition féminine dans un récit tout en retenue. Ming (Cora Miao) et Wendy (Sylvia Chang) sont deux jeunes veuves et amies d'enfance qui se retrouvent en ce jour en compagnie de leurs filles. Pour Ming la perte de son époux est récente tandis qu'elle date déjà de quelques années pour Wendy. Une discussion se lance entre les deux amies sur le passé que l'on va découvrir en flashback, à l'époque où Ming venait de se fiancer avec John (George Lam). Les personnalités des héroïnes ressortent plus dans ce retour en arrière plutôt qu'au présent un peu éteint où elles semblent revenues de tout. On va ainsi comprendre les évènements qui les amèneront à être désormais aussi désabusées. Ming est dotée d'une personnalité rieuse et exubérante très différente de la discrète et sensible Wendy. 

Celle-ci va alors dès leur première rencontre déceler la vraie nature de John. En apparence c'est le bon parti idéal, fils de bonne famille et riche avocat. Wendy ne le découvre pas sous ce jour trop parfait mais d'abord en observant ses peintures parsemant l'appartement de ses parents le jour des fiançailles. Lors de leur premier échange il avoue que cette fibre artistique fut étouffée par sa famille qui l'incita à faire de plus lucratives études de droit. Dès lors une forme de complicité, d'intimité naît entre eux, que Sylvia Chang souligne par de belles idées formelles. John ose ainsi dévoiler avec amusement ce penchant artistique à Wendy en découpant une tomate sous forme de rose pour orner une salade. La naissance du sentiment amoureux par la seule force de la gestuelle et du découpage fait merveille dans ce moment. On le devine aussi par les petites attentions discrètes qu'ils ont l'un pour l'autre comme lorsque durant une partie de pêche nocturne, John sachant qu'il a une prise échange sa canne avec Wendy qui s'ennuie.

John et Wendy comprennent bien vite leur attirance et se sentent coupable vis à vis de leur fiancée et amie. C'est la première fois qu'il est lui-même et peut agir différemment de ce que l'on attend de lui pour John quand la solitaire Wendy voit enfin son cœur s'emballer pour un homme. Sylvia Chang met en place un captivant dispositif narratif. Les flashbacks alternent entre les points de vue de Wendy et de Ming. Dès lors le doute s'instaure à la fois dans le passé où l'on imagine Ming soupçonner peu à peu l'attrait entre son fiancée et sa meilleure amie, mais aussi dans le présent noirci par une possible rancœur sans que l'on sache s'il y a eu trahison. De la même manière l'émotion ardente et la culpabilité se disputent avec espoir dans le présent pour Wendy, et avec regret dans le présent sans que l'on sache également si le pas de la tromperie a été franchi. 

En passant d'un point de vue à l'autre, Sylvia Chang façonne des ellipses et déploie un mystère qui ne se résoudra que progressivement, les "trous" ne se comblant qu'au fil des confidences des héroïnes dans le présent. En attendant ce ne seront que des regards à la dérobée, des frôlements et des échanges à demi-mots qui témoigneront dans l'agitation intimes dans une ambiance feutrée. Cora miao et Sylvia Chang sont excellentes et font passer toute une gamme de sentiments ambigus dans une grande retenue qui nous laisse toujours dans l'expectative. On pense par exemple à ce moment de déni où Ming rentrant chez elle y trouve John et Wendy seuls dans le noir, et se lance alors dans un dialogue joyeux sur les préparatifs de mariage. On le saura ensuite, cette réaction éteindra les velléités de John et Wendy qui était alors prêts à avouer leur attirance. La réaction de Ming était-elle dans le but d'étouffer un coup de poignard attendu, ou un vrai refus de voir la réalité, l'approche narrative et formelle reposant sur l'implicite de Sylvia Chang ne nous laissera pas le deviner. 

L'alchimie ou la distance entre les personnages se joue dans le travail sur les ellipses et les transitions ou le décor joue un rôle essentiel. Un sentiment, une bascule émotionnelle peut-être laissée à l'imagination par des vues somptueuses de l'urbanité hongkongaise dans ce qu'elle a de plus sobre ou alors par un cadrage révélateur dans un éléments de décor (Ming qui suit Wendy du regard alors qu'elle quitte son mariage le pas vacillant). Cette incertitude constante correspond aussi au dilemme des personnages à exprimer ou pas leurs pensées profondes. 

La tension est constante car on ne sait pas si le plus gros enjeu se situe dans le passé dont on n’a pas encore le fin mot, ou dans le présent qui pourrait apporter les réponses. C'est une manière très intéressante de rendre ardent les enjeux du récit tout en adoptant une forme faussement sobre. La construction laisse peu à peu deviner la teneur du secret même si une révélation finale rend le tout plus bouleversant encore, c'est surprenant tout en étant logique puisque dès la scène d'ouverture la réponse était sous nos yeux. Un très beau mélodrame qui n'a rien à envier au meilleur de Stanley Kwan (on pense beaucoup à son Women (1985) dans lequel joue d'ailleurs Cora Miao).

Sorti en bluray hongkongais et doté de sous-titres anglais

Ne prenez pas la fuite en voyant cette bande-annonce entre le roman photo et la pub pour shampoing, aucune image de celle-ci n'est dans le film ^^

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