Les Chemins de la gloire est un des premiers gros projets de la fraîchement créée 20th Century Fox après la fusion en 1935 de Twentieth Century Pictures et de Fox Film Corporation. Darryl Zanuck désormais à la tête du studio va être très impressionné à la vision des Croix de bois de Raymond Bernard (1932) et va chercher à en produire un remake. Il engage Howard Hawks pour le réaliser, ce dernier faisant appel à William Faulkner pour écrire le scénario suite à une première collaboration réussie sur Après nous le déluge (1933). Même si Les Chemins de la gloire reprendra des séquences entières du film de Raymond Bernard, ce processus d'écriture éloigne l'intrigue de celle des Croix de bois pour des thématiques plus spécifiquement rattachées à Hawks ou à l'œuvre littéraire de Faulkner. Le postulat est ainsi voisin de celui de La Patrouille de l'aube réalisé par Hawks en 1930 tandis que certains éléments se rapprochent du roman Absalon, Absalon! de William Faulkner.
L'histoire nous plonge en plein triangle amoureux sur fond de Première Guerre mondiale sur le front de France. Le cœur de la jeune infirmière Monique (June Lang) balance entre le capitaine Laroche (Warner Baxter) et le Sergent Denet (Fredric March). Laroche est un officier usé par la guerre, noyé sous les addictions qui lui permettent de toujours repartir au front, mais qui s'avère un meneur d'hommes brillant qui suscite l'admiration des troupes. Denet et d'un caractère plus frivole mais capable d'empathie et de courage au combat. Leur rapport à Monique est très différent. La jeune femme est le dernier élément qui permet à Laroche de ne pas sombrer mais cette mort imminente qui conduit sa vie depuis trop longtemps l'empêche de totalement s'engager auprès d'elle. A l'inverse Denet après une tentative de séduction très désinvolte va se découvrir des sentiments sincères pour Monique, qui troublée de cette sincérité après les attitudes taciturnes de Laroche, va en tomber à son tour amoureuse. Malheureusement un Laroche sans raison de vivre en fait un être plus vulnérable sur le front, ce qui menace la réussite d'une campagne décisive.Howard Hawks équilibre parfaitement cette dimension intime avec les enjeux guerriers. On trouve éclaté en deux personnages ce mélange de désinvolture et de froide distance toute masculine qui caractérisera un Cary Grant dans Seuls les anges ont des ailes où, pour s'exposer au danger il faut savoir s'astreindre de toute sentimentalité pour accomplir son devoir. Chacune des scènes romantiques obéit à cette dichotomie. La première rencontre sous les bombardements ennemis entre Monique et Denet se dote d'une tonalité triviale et romantique dans le plus pur charme hawksien. Le décalage entre le bruit des bombes et un Fredric March jouant du piano pour une June Lang alanguie est assez saisissant quant à l'inverse, les sobres et poignants adieux de Monique et Laroche avant son départ au front adopte tout une gravité et solennité à la hauteur de l'évènement. Chaque protagoniste masculin apprend à connaître et apprécier l'autre, laissant leur caractère s'imprégner de chacun, poussant l'un vers une plus grande conscience des responsabilités militaire et l'autre vers un lâcher prise plus intime. Denet est ainsi prêt la mort dans l'âme à oublier Monique quand il comprend les conséquences sur le moral de Laroche, et celui-ci est forcé de se détacher de la seule préoccupation militaire quand son propre père (Lionel Barrymore truculent) s'engage clandestinement dans le bataillon.Tout cela va se jouer dans d'impressionnantes séquences militaires. Hawks fait planer le danger et la mort dans un mélange de noirceur et d'humour dans la caractérisation du régiment, notamment quand ses derniers doivent placidement accepter que les Allemands soient en train d'installer des mines sous leur pieds. Hawks s'inscrit dans les éléments classiques des séquences attendues d'un film sur la Première Guerre mondiale mais trouve son originalité par ce ton où au plus fort du chaos et du danger (impressionnantes scènes d'assaut) un protagoniste truculent trouvera le temps de lancer un bon mot ou d'adopter une attitude décalée. Cela n'empêche pas la mort de frapper, mais nous attache au moindre personnage secondaire grâce à ces brefs apartés qui l'aura maintenu en mémoire du spectateur. Le réalisateur sait également soigner les séquences sentimentales où il magnifie totalement la beauté élégante de June Lang, vraie oasis de douceur dans l'enfer ambiant. Les cadrages, certains gros plans saisissants et la photo superbe de Gregg Toland mettent en valeur comme rarement l'actrice qui surnage dans cet environnement de boue, baraquement insalubre et désolation. La conclusion sacrificielle célèbre cet héroïsme faussement machiste mais vraiment pudique où la conscience du devoir doit se prolonger au détriment des aspirations intimes (le leitmotiv du discours empathique et galvanisant repris par un autre personnage en conclusion).Sorti en dvd zone 2 français chez Opening
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