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vendredi 17 décembre 2021

Les Pirates de Bubuan - Bubuan no kaizoku, Shohei Imamura (1972)


 En se rendant dans l'archipel des Philippines, Imamura va à l'encontre de peuples vivant dans une extrême précarité sur dans des baraquements de fortune sur des simples bancs de sable. Il découvre très vite, que certaines communautés sont livrées à la merci d'impitoyables pirates fortement armés.

A partir du très trouble et provocateur Le Pornographe (1966), Shohei Imamura quitte le giron du studio Nikkatsu pour fonder sa compagnie Imamura Productions et passer en indépendant. Ces projets suivants seront ainsi certes moins nantis mais réalisés en toute liberté (même si Nikkatsu prendra néanmoins en charge la distribution) et encore plus radicaux. L’Evaporation de l’homme (1967) est un objet insaisissable entre documentaire et fiction, Profonds désirs des dieux (1968) pousse dans ses derniers retranchements naturaliste l’approche anthropologique du réalisateur et L'Histoire du Japon d'après-guerre racontée par une hôtesse de bar (1970) est une cinglante contre-histoire du Japon. Tous ces films seront des échecs commerciaux qui vont forcer Imamura et sa société à trouver refuge à la télévision où il va signer plusieurs documentaires. Loin d’être un purgatoire, le petit écran est au contraire est terrain de jeu parfait pour Imamura comme va le montrer Les Pirates de Bubuan

Imamura s’immerge ici au sein de la population de l’archipel des Philippines où il va remarquer de curieuses inégalités. Le autochtones sédentaires et musulmans sont parvenus à préserver leur culture malgré les occupations passées (dont japonaise) et vivent des conditions modestes. Ils rejettent leur compatriote d’une île voisine du fait qu’ils ne soient pas musulmans, aient une existence « nomades » qui ne leur permet pas de s’intégrer à la vie sociale et économique de l’archipel. Imamura (présent à l’écran) retrouve la veine intrusive et subjective de L’évaporation de l’homme par ses questions frontales, l’orientation assumée de la voix-off et l’impudeur de certaines situations capturées. Le but en bousculant ainsi ses interlocuteurs est de révéler une vérité cachée, en l’occurrence ici la présence de pirates menaçant l’existence ou du moins les biens des habitants. Cette menace semble la vraie raison du maintien dans la précarité des protagonistes, Imamura filmant crûment les baraques sommaires, les familles nombreuses entassées. On appréciera également quelques éléments pittoresques comme la démarche chaloupée des femmes ayant perdues l’habitude de marcher sur la terre ferme où elles ne se rendent que pour vendre le fruit de leurs pêches. 

L’arrière-plan politique et social s’avère cinglant lorsque l’on comprendra que ce danger est une chimère pour maintenir ces peuples dans le dénuement par la crainte. Imamura remonte le fil de chaque communauté, plus démunie et isolée les unes que les autres, vivant dans l’attente, la crainte ou une volonté de confrontation à une « menace » quasi abstraite. Imamura parvient à dire beaucoup d’un système vicié tout en respectant les formats télévisées (le doc ne dure que 45 minutes) et sans se délester de son brio formel à travers de sublimes paysages où l’on retrouve la poésie de Profonds désirs des dieux. Un opus méconnu mais clairement à découvrir du maître. 


 Disponible en dvd zone 2 français chez Choses Vues en bonus du film L'évaporation de l'homme

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