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mardi 29 mars 2022

Ju Dou - Zhang Yimou (1990)

Dans la Chine rurale des années 1920, Ju Dou est achetée par Yang Jin-shan, le vieux propriétaire d'une teinturerie qui rêve d'avoir un héritier mâle. Parce qu'elle tente de résister à ses assauts, la jeune femme subit régulièrement les déchaînements de violence de son mari. Elle se réfugie dans les bras du neveu de ce dernier, qui vit sous le même toit et essuie également les brimades du vieil homme.

Second film de Zhang Yimou, Ju Dou apparait comme une captivante variation de son inaugural Le Sorgho Rouge (1987). Le point de départ est très proche avec une femme achetée par un mari vieillard et tyrannique mais qui rencontrera l’amour et obtiendra sa liberté dans les bras d’un amant jeune et vigoureux. Le Sorgho Rouge s’inscrivait cependant dans une Chine primitive et mythologique dans la mise en image de Yimou, uniquement rattrapée par la modernité dans une conclusion mettant en scène l’envahisseur japonais mettant à mal le monde idéal que s’étaient construit les protagonistes. Ju Dou est une œuvre bien plus minimaliste et résignée où les limites pour les personnages ne viendront pas d’une menace extérieure, mais de maux bien locaux. 

Zhang Yimou place ses héros dos à dos face à une même société chinoise patriarcale et pétrie d’injustice de classe. Ju Dou (Gong Li), achetée par l’avare et brutal Yang Jin-Shan (Li Wei), propriétaire d’une teinturerie, est entièrement à la merci du sadisme et de la violence du vieil homme la nuit venue. Tian-qing (Li Baotian) est quant à lui le neveu adopté de Yang Jin-Shan et corvéable au bon plaisir de ce dernier. Les journées voient Ju Dou assister au labeur interminable de Tian-qing quand les nuits de ce dernier sont interrompues par les cris de Ju Dou malmenée par Yang Jin-Shan. Le corps musculeux dans l’effort et les allures timides, modestes de Tian-qing offrent un modèle masculin différent, à la fois vigoureux et humble à Ju Dou. Tian-qing par ce même jeu de regard voit son quotidien s’éclaircir le temps d’un instant lorsqu’il épie au petit matin par le trou d’une grange Ju Dou faire sa toilette.

Les aspirations et plus tard l’éphémère harmonie du couple sera symboliquement représentée par les deux couleurs de tissus principalement produite dans la teinturerie, le rouge et le jaune. En Chine le rouge est un symbole de joie et de bonne fortune, alors que le jaune est associé à a sagesse, l'harmonie, le bonheur et la culture. Tout au long du récit ont voit ainsi les tissus de cette couleur dans leur mode de production, de préparation, finalisation et vente comme une métaphore selon le moment de l’histoire d’un bonheur auquel le couple aspire, savoure ou regrette. Un désir contenu traverse la première partie du film, où le poids de l’autorité patriarcale, de la dévotion filiale abusive, de la servitude, se fissure progressivement pour laisser les amants s’aimer. Gong Li est particulièrement intense dans ce registre dévorant et lascif, se donner à Tian-qing étant synonyme de libération de son esprit, son corps et désir. Zhang Yimou la filme encore plus lascivement et amoureusement que dans Le Sorgho Rouge, le rapprochement explicite des corps façonnant un érotisme aussi puissant que la puissance de l’ellipse sur une porte close, ou la seule bande-son bercée des rires et halètement du couple – sans parler de la métaphore sexuelle de cette roue d’eau et plus largement l'architecture du désir que façonnent les instruments de la teinturerie. 

Le destin fait constamment miroiter ce bonheur, cette liberté, à Tian-qing et Ju Dou avant de toujours le leur arracher. Lorsque le vieillard Yang Jin-Shan est désormais paralysé par la maladie, ils peuvent s’aimer au nez et à la barbe de leur ancien tourmenteur. Leur erreur aura été de croire que l’ennemi était avant tout une personne à travers Yang Jin-Shan, alors qu’il s’agit surtout d’un système. Yang Jin-Shan croit tellement à ce système féodal de domination masculine et sociale que même handicapé, voir des « inférieurs» s’épanouir sous ses yeux lui est insupportable et le rendra nuisible jusqu’au bout. Ce statut que le statut le système lui a attribué lui ôte tout état âme et remords quand il tentera de tuer tour à tour le couple (quand même si l’idée leur traverse l’esprit eux n’oserons pas franchir le pas), puis un jeune fils qu’il devine ne pas être le sien. Là aussi la symbolique sera puissante puisqu’une de ses tentatives sera de provoquer un incendie en brûlant les fameux tissus rouge et jaune dans la signification évoquée plus haut, mais aussi du fait qu’il représente « sa » possession matérielle pour détruire « ses » possessions humaines de fait. 

La disparition du vieillard ne changera rien à ce problème systémique. La coutume oblige le couple à se soumettre une dernière fois à lui, même dans la tombe le temps d’un rituel funéraire, et les force à ne plus vivre sous le même toit. Le système leur impose surtout un nouveau tyran, plus jeune, leur propre fils Tianbai (Ji-an Zheng). Il remplace celui qu’il pensait être son père en tant que dominant social pour Tian-qing, dominant masculin envers sa mère Ju Dou, dans cette même logique ancestrale annoncée dès la scène d’enterrement où il est mis sur un piédestal dès ses trois ans –. Conscient sa supériorité, tout aussi brutal et possessif que Yang Jin-Shan, Tianbai n’est jamais filmé comme l’enfant ou l’adolescent qu’il est par Yimou, mais constamment comme ce totem de domination et cette menace à la liberté, au bonheur. Lors de la scène d’enterrement, il est notamment cadré en contre-plongée lorsqu’il est assis sur le cercueil soulevé par des porteurs, cercueil sous lequel doivent s’agenouiller Ju Dou et Tian-qing. De nouveau, les amants doivent s’aimer en secret, afin d’échapper au jugement moral de la communauté, mais surtout au regard méprisant et inquisiteur de la chair de leur chair dans un puissant élan de tragédie. Si Le Sorgho Rouge était, même dans sa conclusion dramatique, une forme d’utopie, Ju Dou est un douloureux retour à la réalité offrant un grand mélodrame. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez BQHL


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