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vendredi 25 mars 2022

Vivre ! - Huózhe, Zhang Yimou (1994)


 La Chine au début des années 40. Fugui, un jeune homme riche et insolent, passe ses nuits à jouer et à perdre beaucoup d’argent, jusqu’au jour où il se retrouve ruiné, provoquant ainsi la mort de son vieux père et le départ de sa femme. Quelques mois plus tard, elle décide de lui pardonner et de revenir avec leurs deux enfants. Désormais, Fugui doit trouver de quoi faire vivre toute sa famille...

Dans Vivre ! Zhang Yimou propose une fresque intimiste parcourant presque 30 ans de l’histoire de la Chine contemporaine. Il adapte là un roman du romancier chinois Yu Hua (également au scénario) publié en 1993 en Chine. C’est difficile à croire au vu des drames qui traversent le film, mais en fait Zhang Yimou atténue largement la noirceur du roman dans son adaptation. Il souhaitait au départ adapter un roman antérieur de Yu Hua (dont les premiers travaux donnent dans une écriture avant-gardiste et une tonalité sombre et réaliste) mais, envisageant déjà de collaborer avec lui au scénario, Zimou et l’auteur ne réussiront jamais vraiment à s’entendre sur le ton à adopter. Yu Hua fait alors lire à Zhang Yimou le manuscrit de Vivre ! pas encore publié et le cinéaste bouleversé par cette histoire y voit matière au film qu’il souhaite. L’intérêt du livre est de faire du contexte politique une simple toile de fond à l’échelle de protagonistes modestes qui s’y épanouissent ou le subissent, sans que la critique du régime n’y paraisse trop explicite. 

Du début des années 40 au milieu des années 70, nous suivons donc le destin de Fugui (Ge You), son épouse Jiazhen (Gong Li) et leur famille à travers les soubresauts politiques que va traverser la Chine. Fugui sera toujours, pour le meilleur et pour le pire, un miroir de son environnement socio-politique. Fils de bonne famille, il est au départ un viveur irresponsable délaissant sa famille pour s’adonner au jeu. Il perd tout dès le début du récit, provoquant la ruine de sa famille, la mort de ses parents et la vente de sa maison après avoir accumulé les dettes. 

Il subit et provoque les affres du système de caste, hédoniste et la corrompu de République de Chine dans lequel il s’alanguissait. Mais bientôt vient l’heure la guerre civile marque l’avènement de la République populaire de Chine en 1949. Fugui est ainsi balloté tant physiquement (enrôlé de force par les révolutionnaires) qu’idéologiquement, sans montrer de vraie force de caractère. Cela l’expose ou le sauve indirectement (lorsque son ancien créancier subit le sort qui lui aurait été réservé entant que « propriétaire), mais tout comme ses écarts de conduite d’antan, l’éloigne toujours de sa famille par manque de clairvoyance.

Après avoir voulu ressembler aux autres viveurs nantis sans en avoir les moyens, il se montrera le plus zélé des camarades de Mao sans en avoir la conviction. Jiazhen (magnifique Gong Li) est le véritable cœur de cette famille qui discrètement, endossant les maux de chacun, cherche à rapprocher ses membres malgré les difficultés. Cela donnera quelques moments poignants tant dans un registre léger (le fils se vengeant de son père en lui servant une soupe au vinaigre) que dramatique où elle est la vectrice du bonheur passager et la principale victime (ou en tout cas celle qui nous émeut le plus) des nombreux maux que va subir sa famille. La rigidité idéologique du régime et la soumission fanatique et apeurée de ceux qui l’appliquent baigne ainsi le quotidien d’une peur d’être un mauvais camarade dans le cadre du Grand Bond en avant. Quand Jiazhen n’a jamais que le bien-être de sa famille en vue, Fugui ne vit qu’à travers le regard des autres avec la même superficialité quand il vivait en bourgeois.

Certaines situations idéologiques absurdes ne sont pas sans rappeler Docteur Jivago de David Lean (1965) mais Zhang Yimou a la main moins lourde que le film occidental et se montre plus subtil. En restant constamment à hauteur de ces protagonistes modestes, Yimou inscrit certaines aberrations dans leur quotidien et sans critique explicite de la Révolution Culturelle. Une collecte de métal pour renforcer la production d’acier national prive certaines familles de pouvoir cuisiner, la réquisition des enfants dans ces fonderies d’aciers cause la mort tragique de certains… Les purges aux postes de pouvoir se font et se défont au gré des jalousies, amitiés rompues et dénonciations sous l’accusation passe-partout de « profiteur capitaliste ». Tout cela, nos personnages le constatent et le subissent dans des évènements de vie anodins et heureux dans un autre contexte, mais qui vire au drame ici tel cet accouchement fait par des novices car les médecins ont été emprisonné comme « réactionnaires ». 

Cette échelle intime se ressent dans la mise en scène de Zhang Yimou. Les moments les plus spectaculaires (l’irruption d’innombrables soldats/figurants sur une plaine durant la guerre civile) se rattache à un seul point de vue, celui de Fugui subissant les évènements, et détachant ainsi ces séquences d’une emphase héroïque et/ou politisée. Lorsque l’histoire revient à une échelle plus sobre, le réalisateur travaille ses ellipses par la répétition de certaines compositions de plan, de filmage de décors récurrents rattachés une nouvelle fois au quotidien de ses protagonistes. Les personnages vieillissent, l’environnement évolue, s’améliore par strates discrètes et marque ainsi l’hésitation constante du regard de Yimou sur la schizophrénie entre la volonté de progrès et de stagnation de la Révolution Culturelle - dualité que représente bien les regards changeant sur le spectacle de marionnettes. 

L’imagerie iconique rattachée au culte de la personnalité de Mao Zedong est dans cette idée, exprimant une franche satire (l’approche plus symbolique des premiers films comme Le Sorgho Rouge (1987) s’estompe) mais accompagnant aussi en toile de fond certains des instants les plus charmants du film (la complicité des jeunes fiancés révélés à travers la peinture conjointe d’un portrait de Mao Zedong). Zhang Yimou navigue donc habilement, à la fois pour maintenir le spectateur dans une aura positive de résilience (ce qui change radicalement du livre à la conclusion bien plus amère) malgré les tragédies observées - volonté marquée par le titre du film – mais aussi pour égratigner sans attaquer le régime. Ce ne sera cependant pas suffisant puis si Vivre ! rencontrera une grande reconnaissance internationale (Grand Prix et Prix d’interprétation pour Ge You au festival de Cannes 1994, Golden Globe du meilleur film étranger), l’accueil sera plus tiède en Chine et le propos même subtil vaudra à Zhang Yimou deux ans d’interdiction de tournage. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Films sans frontières

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