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dimanche 10 avril 2022

Denise au téléphone - Denise Calls Up, Hal Salwen (1995)

Portraits de New-Yorkais célibataires dans l'air du temps, qui ne vivent et ne communiquent que par téléphone, fax, ordinateur, de leur salle de bains au réveil jusqu'au moment de s'endormir en pensant à l'élu de leur cœur.

Denise au téléphone est une œuvre "high concept" du cinéma indépendant américain des années 90 avec sa narration entièrement constituée d'échanges téléphoniques entre de jeunes new-yorkais. Le film s'ouvre sur une matérialisation de cette impossibilité d'une proximité physique avec les images d’une fête qui n'a pas eu lieu puisque aucun invité ne s'est rendu à la soirée donnée par Linda (Aida Turturro). Ce non-évènement aura été source d'espérances manquées, notamment le rendez-vous arrangé par Gail (Dana Wheeler-Nicholson) entre son amie Barbara (Caroleen Feeney) et Jerry (Liev Schreiber), copain de son ex petit amie Frank (Tim Daly). Tout cela semble rattrapable en rappelant les uns et les autres et en organisant une autre rencontre, une autre discussion possiblement physique, mais avant tout téléphonique. 

Le film s'avère grandement anachronique à l'ère des smartphones, des réseaux sociaux et de l'interaction hyperconnectée entre les individus. La circulation de l'information ralentie et involontaire à travers des vecteur comme le téléphone fixe, le répondeur n'existerait aujourd'hui que par une intention assumée de ne pas être joint, de ne pas répondre, d'esquiver l'autre. Ici l'on reste encore dans une échelle acceptable où les codes de l'interaction physique perdurent malgré tout dans les canaux téléphoniques, ce qui fait que malgré leur réticence initiale, Barbara et Jerry finiront par avoir un échange, même s'il tournera court dans un premier temps.

Sous cet aspect désuet, Denise au téléphone est également assez visionnaire d'une certaine apathie et solitude urbaine éloignant les citadins entre eux. A plusieurs reprises les dialogues révèlent que certains personnages "amis" ne se sont pas vu depuis plusieurs mois, voire plusieurs années malgré les fréquent échanges téléphoniques. Accaparés par leur travail, enfermés dans leurs appartement et rivés sur leurs écrans, retrouver l'autre, ami ou inconnu est pour eux du temps perdu mais surtout une peur de l'incertitude dans un quotidien maîtrisé. Hal Salween capture parfaitement cela dans les atermoiements divers qui empêche ou retarde les rencontres, mêmes virtuelles, des personnages. La narration assez habile fonctionne un peu sur le principe littéraire et épistolaire de Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos où l'on assiste à la discussion téléphonique (tout comme on lisait les lettres dans le roman) et que c'est la différence de ton, d'un échange à l'autre par les ellipses, qui nous laisse combler les trous et comprendre ce qui a changé. 

Là aussi le film est grandement visionnaire en dépeignant l'immense intimité qui peut naître de ces romances virtuelles (Barbara et Jerry devenant "amants") mais aussi la superficialité et la lassitude à la manière d'une application de rencontre aujourd'hui. Même si reposant avant tout sur le champ contre champs, la mise en scène parvient à capturer le fossé ou le rapprochement entre les individus par le travail sur le cadrage, la posture durant la discussion téléphonique, le simple fait de décrocher ou pas le combiné. L'écho avec le monde actuel, où l'isolement a encore été renforcé par les confinements, est puissant et toutes les situations semblent crédibles et transposables dans les attitudes de chacun. Ironiquement c'est la situation la plus ouvertement farfelue et improbable (et la plus éloignée géographiquement) entre la femme enceinte et son donneur de sperme retrouvé qui débouchera sur une possible vraie romance. Toutes les autres où dégager du temps, se déplacer et retrouver dans la même ville aurait suffi, conduit à cette même impasse de solitude et d'incommunicabilité.

Sorti en dvd zone 2 français chez ARP

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