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mardi 12 avril 2022

The Intruder - Roger Corman (1962)

Un homme en complet blanc arrive dans une ville du sud des États-Unis au moment où viennent d’être votées les lois sur l’intégration, permettant à des enfants noirs de fréquenter les mêmes écoles que les enfants blancs. Il se présente comme un réformateur social. Mais, en réalité, la seule chose qu’il recherche est semer le trouble. Il y parvient, mais finit par perdre le contrôle de la situation.

Pape du cinéma d’exploitation malin, économe et lucratif, Roger Corman n’en est pas moins un homme aux profondes convictions progressistes qu’il va exprimer dans The Intruder. Adapté du roman éponyme de Charles Beaumont (qui en signe également le scénario), The Intruder se base sur des faits réels liés à l’Amérique ségrégationniste. En 1954 va entrer en vigueur l’arrêt Brown v. Board of Education qui va mettre fin à la ségrégation raciale implicite dans les écoles et amener une mixité en autorisant les enfants noirs à fréquenter les mêmes établissements que les blancs. La loi provoque un tollé, notamment dans les états du Sud et le postulat du film part de l’intolérance de la population à ces changements. 

Adam Cramer (William Shatner) est un homme manipulateur et séduisant qui va stimuler les bas-instincts racistes des habitants de la petite ville de Caxton, alors que les dix premiers élèves noirs s’apprêtent à intégrer le lycée. La noirceur de ses intentions est en contrepoint de sa politesse, de la pureté que dégage son costume blanc et des manières charmeuses dont il joue à travers son physique avantageux. Par les échanges badins qu’il a dans un premier temps avec différentes souches de la population blanche, il sonde un racisme larvé dont il cherche à stimuler les réactions les plus virulentes. Roger Corman le filme sous des angles renforçant son aura démoniaque, le montrant comme l’étincelle qui fait basculer ce racisme culturel vers une haine beaucoup plus primitive évoquant un passé sombre qui ne demande qu’à être ravivé. L’incroyable séquence du discours devant l’hôtel de ville fonctionne dans cette idée, celle d’une contamination où un individu seul propage un discours de haine et de peur tous azimuts (racisme, antisémitisme et anticommunisme rangé dans le même sac) à une foule qu’arpente la caméra de Corman. Ces sentiments sombres sont inscrits au sein de cette Amérique profonde et les mots de Cramer les avivent pour les traduire par des passages à l’acte.

Même si les plus vindicatifs et arriérés sont très vite identifiés, Roger Corman travaille sur cette idée du collectif malléable quand la raison n’interviendra que par l’individualité. La marche des lycéens noirs à travers la ville pour leur premier jour de classe est ainsi filmée à travers la multitude de regards hostiles, puis l’accueil d’un groupe de citoyens racistes. Le rédacteur du journal Tom McDaniel (Frank Maxwell) semble au départ un soutien « passif » de l’idéologie ambiante et voit la réforme d’un mauvais œil, mais son humanisme supplante le racisme congénital du monde qui l’entoure lorsqu’il voit une violence décomplexée se manifester envers les noirs. Il procède de façon identique même si de façon moins fouillée chez les noirs, pas uniquement vus comme un tout victimaire mais aussi des individus revendiquant leur droit à travers le personnage du lycéen Joey Green. 

William Shatner dans un de ses premiers rôles majeurs est tout simplement incroyable. Ivre de sa séduction et de son éloquence haineuse, il est un croise brillamment instincts dominateurs sur les esprits faibles et vulnérabilité face à des interlocuteurs clairvoyant. Corman signe une scène fabuleuse lorsque son discours est réduit à ce qu’il est face au vendeur Griffin (Leo Gordon), les éructations d’un bonimenteur vendant la haine comme d’autres un produit à la mode. La manière dont Griffin retourne la situation lors de leur confrontation démontre la lâcheté de Cramer, plus narcissique que jusqu'au-boutiste dans sa démarche et qui va se trouver dépassé par ses actions. C’est captivant de bout en bout et porté dès les premiers instants par une tension (le score anxiogène de Herman Stein nous crispant dès les première minutes) qui ne se relâchera jamais. Par volonté d’authenticité, Corman tournera dans une petite ville du Missouri avec des gens du cru comme figurants mais en leur dévoilant seulement une partie de l’intrigue. Il y a quelque chose qui transparaît vraiment de ce parti pris dans les figures des autochtones, dans vérité de cet environnement.

Corman engagera dans le rôle de Joey Greene le jeune Charles Barnes qui avait justement intégré le lycée local l’année précédente grâce l’arrêt Brown v. Board of Education. L’acteur amateur n’aura donc qu’à reproduire les sentiments de ses premiers pas périlleux et observés tels qu’il les vécut. Le système D de Corman est également toujours à l’œuvre lors de la fameuse scène du discours où il convoquera les habitants pour assister au tournage, constituant la foule assistant au discours de Cramer tandis que William Shatner mimera simplement sa tirade sans réellement prononcer les mots horribles devant l’assemblée. Les effets formels pour faire passer l’illusion (un dézoom sur le visage de Cramer avant une suite de plongée et contre-plongée face à la foule) donne d’ailleurs un côté halluciné à la séquence qui amplifie d’autant plus sa puissance. Roger Corman admettra avec humour qu’il s’agit là de la seule de ses productions à ne pas avoir été rentable à sa sortie, mais c’est très certainement une de celle dont il doit être le plus fier. Une œuvre aussi nécessaire aujourd’hui qu’à l’époque de sa sortie, tant son message se montre encore tristement pertinent. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta

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