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dimanche 17 avril 2022

Épouses et Concubines - Dà Hóng Dēnglóng Gāogāo Guà, Zhang Yimou (1991)


 En Chine, dans les années 1920, Songlian, 19 ans, devient la quatrième épouse d'un riche quinquagénaire, maître Chen. Elle s'initie rapidement aux règles domestiques : Chen fait allumer chaque soir une lanterne rouge devant et à l'intérieur des appartements de l'épouse qu'il a choisie d'honorer. Entre les quatre femmes s'engage alors une lutte de pouvoir pour obtenir les faveurs du maître…

Avec Épouses et Concubines, c'est déjà la troisième fois que Zhang Yimou prend comme postulat initial d'un de ses films une jeune chinoise introduite à un monde nouveau et oppressant par un mariage arrangé. Toujours personnifiée par Gong Li, on retrouve cette figure féminine dans Le Sorgho rouge (1987) et Ju Dou (1990), chacun des films proposant à la fois une continuité et une variation très différente. Le Sorgho rouge représente une Chine mythologique et primitive où le destin initialement barbare de Gong Li est surmonté par un idéal d'épanouissement intime et collectif avant d'être rattrapée par une réalité historique cruelle avec l'invasion du Japon. Ju Dou montre une Gong Li étouffée dans une tradition patriarcale et rurale chinoise ancestrale tout en entrevoyant un bonheur qui s'y dérobera de façon éphémère. Épouses et Concubines semble l'étape terminale de ce cheminement, où le semblant de romanesque lumineux des précédents films s'estompe complètement pour ne laisser place qu'à la douleur de cette condition féminine soumise. 

Songlian (Gong Li) est une jeune fille contrainte par nécessité de renoncer à ses études et de se marier à un riche quinquagénaire dont elle va devenir la quatrième épouse. Elle va dès lors se trouver prisonnière d'un monde clos où l'époux est roi, et où une rivalité féroce oppose les quatre épouses. Toute la construction esthétique du film tant à souligner cette dimension de monde clos où règnent ces lois du calcul, de du pouvoir et de la domination. Zhang Yimou illustre scrupuleusement les rituels faisant glisser les faveurs d'une femme à une autre. Des lanternes rouges (couleur signifiant la bonne fortune en Chine, et dont la saturation finale traduira la folie de l'héroïne) illuminent les extérieurs et intérieurs des appartements de celle avec laquelle il décidera de passer la nuit. Ce choix s'effectue chaque soir lorsque les épouses se présentent à l'entrée du chemin menant à leur demeure, l'entrée étant une métaphore de leur sexe qu'il peut pénétrer. La dimension charnelle n'a cependant que peu d'importance ici, chaque épouse ne symbolisant, comme le soulignera avec ironie Songlian qu'un "peignoir qu'il peut enlever et mettre à sa guise". Avoir le maître dans ses quartiers est avant tout synonyme de pouvoir sur la maisonnée, que ce soient les autres épouses ou les domestiques - dont certaines, maîtresses ponctuelles sont aussi des concurrentes officieuses comme Yan'er (Kong Lin). On découvre donc avec Songlian les codes de cet environnement, tout un quotidien fait de faux-semblants et de perfidie afin de mettre l'une des quatre épouses en faute et être l'heureuse élue du soir.

La Première épouse (Jin Shuyuan) désormais trop âgée est exclue de la concurrence sexuelle mais impose le respect pour avoir accompli son devoir et donné un fils, ce qui lui confère le pouvoir d'appliquer ces règles ancestrales qui régissent les lieux. Les autres, plus jeunes, entre mesquineries déployées au grand jour comme la Troisième épouse Meishan (He Saifei), et une amicalité sournoise pour la Deuxième épouse Zhuoyun (Cao Quifen), se livrent une véritable guerre stratégique et impitoyable. Zhang Yimou joue de la répétition dans les cadres, compositions de plan, et toutes les variations ne résident ce qui sera la dominante du moment. Le plan d'ensemble de la chambre de Songlian évolue ainsi selon qu'elle soit seule et isolée, en compagnie du maître, frustrée, par d'infinis détails que ce soit son positionnement, la couleur de ses tenues, la photo de Zhao Fei basculant de boudoir à prison. 

L'époux n'est jamais filmé de face, il demeure une silhouette en amorce, une figure lointaine lourde de menace ou une voix. Il incarne sans le personnifier en tant que vrai protagoniste ce pouvoir masculin tout puissant et indifférent aux sentiments des femmes qui ne sont que des objets de plaisirs. Si l'une d'entre elle a le malheur de témoigner une saute d'humeur (en un mot faire preuve de personnalité, d'individualité), il n'a qu'à se rendre chez sa voisine plus souple. Songlian par sa jeunesse, sa fougue et sa frustration n'est pas encore rompue à ces attitudes et malgré son statut avantageux de dernière épouse, va progressivement dégringoler dans la hiérarchie. 

Les images en plongée sur la demeure traduisent cette dimension de monde clos et hors du temps, et accompagnent cette notion de répétitivité où seules varient les saisons. Les toits peuvent être de brefs moments de respiration et de sincérité entre Songlian et Meishan, mais également le tombeau de celles ayant manifestée trop d'émancipation par des élans adultères qui sont bien entendus acceptés et naturels pour les hommes. Le soin du détail dans la beauté des costumes, la sophistication des décors (une maison du XVIIe siècle à Pingyao, dans la province de Shanxi a d'ailleurs servi de décor au film) façonnent ainsi un environnement aussi stylisé qu'étouffant, une geôle dorée dans le plus pur sens du terme. En s'élevant dans les classes sociales dépeintes, Zhang Yimou rend le piège encore plus implacable et glaçant (anticipant d'ailleurs l'approche austère et plus radicale encore de Hou Hsio Hsien (ici producteur) sur Les Fleurs de Shanghai (1998)), avec une terrible dernière scène en forme d'éternel recommencement.

Sorti en bluray français chez D'vision

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