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mardi 28 juin 2022

Terre jaune - Huang tudi, Chen Kaige (1984)


 En 1939, en Chine, un soldat de l'Armée populaire de libération est envoyé dans la campagne de la province du Shaanxi pour recueillir des chants traditionnels. Il rencontre Cuiqiao, jeune adolescente de 13 ans qui vit avec son frère Hanhan et son père fermier. Ce dernier l'a promise en mariage à un homme qu'elle ne connaît pas.

Terre jaune est la première réalisation de Chen Kaige, et un des films emblématiques et fondateurs de la « cinquième génération » du cinéma chinois. Cette dernière vaudra à travers également la filmographie de Zhang Yimou une vraie reconnaissance internationale pour le cinéma chinois. La cinquième génération se caractérise par le fait d’avoir des réalisateurs ayant vécus, subit et/ou participés à la Révolution Culturelle, entretenant donc un rapport ambigu avec cette dernière dans leurs films où se dispute un certain recul, parfois une critique larvée (dans les limites de la censure) ou du moins un droit d’inventaire au sein de grandes fresques tout comme des œuvres plus intimistes. Dans ce contexte, Chen Kaige a une expérience particulière qui donne une teneur autobiographique à Terre jaune

Chen Kaige vient d’un milieu aisé et a étudié dès l’enfance dans les hautes sphères des établissements réservés aux familles de dignitaires chinois. Cela va nourrir une solitude qui amènera une volonté chez lui de s’inscrire dans un collectif et à s’investir passionnément dans la Révolution Culturelle puisqu’il fera partie des gardes rouges. Il se retournera même contre sa famille en la dénonçant, ce qui éveillera plus tard un profond sentiment de culpabilité qui hante certains de ses films comme Adieu ma concubine (1993). Une partie de sa filmographie est donc une manière d’expier et dans Terre jaune, même si le film se déroule dans les années 30, on peut deviner une part d’autobiographie notamment les travaux forcés à la campagne qu’il effectua en 1968 ou encore son passage dans Armée populaire de libération en 1971. Le personnage de Gu (Wang Xueqi) est une sorte de double de Chen Kaige, jeune soldat venu recueillir les chants traditionnels dans la campagne de la province de Shaanxi.

L’objectif est de changer les paroles de ces chansons afin d’en faire des odes patriotiques propres à galvaniser l’Armée populaire de libération dans ces manœuvres, et de manière sous-jacente d’insuffler l’attrait de l’idéal communiste au sein de ces populations rurales qui pensent d’abord à survivre avant de réfléchir politique. Gu est logé auprès d’une famille pauvre où un père (Tan Tuo) vit misérablement avec sa fille adolescente Cuiqiao (Xue Bai) et t son fils cadet Hanhan (Liu Qiang). Gu va s’attacher à eux, découvrant les rites locaux et une certaine forme de résignation des autochtones quant à leurs conditions de vie, tout en faisant miroiter un ailleurs meilleur et plus égalitaire aux deux enfants. Cuiqiao, promise à un mariage arrangé au plus jeune âge, est particulièrement sensible au discours de Gu lorsqu’il lui évoque la parité de l’Armée populaire de libération, quand il effectue lui-même des tâches supposées « féminines » sous ses yeux comme la couture. Le père, sans mauvaise intentions mais soumis à son environnement, ne voit pas l’extérieur comme échappatoire à la pauvreté et ramène sa fille à la condition subalterne que sera le reste de sa vie dans sa place d’épouse. En définitive, Gu parti sous d’autres cieux ne reviendra pas à temps pour sortir la jeune fille de sa triste destinée. 

Formellement Chen Kaige oscille entre poésie et une austérité presque documentaire. La caméra arpente les vaste espaces montagneux et arides, filme les moments rituels avec une immersion totale telle la séquence de mariage d’ouverture ou le chant collectif pour appeler la pluie. Dans ces séquences-là, la communauté ne fait qu’un et chacun se soumet à ses traditions. L’individualité ne peut surgir que dans les cadres isolés, souvent nocturnes pour Cuiqiao, et c’est là que sa voix se déploie pour entonner des mélopées sur son existence sans perspectives. Cela se passe durant les moments de labeurs comme les longs trajets qu’elle effectue pour aller chercher de l’eau, ou au terme d’une journée harassante alors qu’elle s’apprête à se coucher. Chen Kaige ne montre jamais directement la jeune fille chanter à l’écran, la comptine s’entame dans des plans larges où elle n’est que silhouette, ou face caméra laissant la musique intervenir de façon extradiégétique. Une grande poésie se dégage de ces moments où la voix haut-perchée, lancinante et mélancolique s’élève parmi les grandes étendues désertiques. Cuiqiao chante non seulement pour elle, mais pour toutes les femmes chinoises de sa condition dont le destin laborieux est tout tracé.

L’interprétation de la conclusion s’avère donc ambigüe. D’un côté on peut imaginer que Cuiqiao se libère de ses entraves pour adopter le rêve communiste dans sa fuite finale. De l’autre cet idéal n’est peut-être qu’une illusion vaine, Gu n’est en définitive pas le sauveur attendu et la fin ouverte ne nous dit pas (et laisse plutôt deviner le contraire) si la jeune fille a rejoint cet ailleurs de tous les possibles. Une œuvre captivante, partagée entre réalisme et formalisme (un certain Zhang Yimou officie en tant que directeur photo), une belle promesse pour un regard novateur. 

Sorti en dvd chinois

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