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mercredi 6 juillet 2022

Sans toit ni loi - Agnès Varda (1985)


 Une jeune fille vagabonde (prénommée Simone, ou Mona) est retrouvée dans un fossé, morte de froid, au pied de deux cyprès jumeaux. C’est un simple fait divers. Que pouvait-on savoir d’elle et comment ont réagi ceux qu’elle a croisés sur sa route, dans le sud de la France, cet hiver-là ? Un autre routard, une domestique, un berger philosophe, un tailleur de vignes tunisien, une « platanologue », un garagiste et une vieille dame. Elle traîne et boit dans les gares. Des voyous l’accueillent dans un squat. Elle fait de brèves rencontres entre ses longues errances sans but apparent. Elle survit énergiquement malgré la faim, la soif, le froid et le manque de cigarettes et d'herbe. Sa solitude augmente, elle perd son duvet. C’est le froid qui la vaincra.

Sans toit ni loi marque le retour à la fiction d’Agnès Varda, quatre après Documenteur (1981) et huit après L'une chante, l'autre pas (1977), tout deux entrecoupés de nombreuses incursion dans le documentaire et le court-métrage. Ce sont ces terrains d’expérimentations qui conduisent sans doute à l’objet singulier qu’est Sans toi ni loi, partagé entre son imagerie austère et sa narration novatrice. Le film s’ouvre sur la découverte du cadavre d’une jeune vagabonde, morte de froid dans un fossé. Sans nom, sans famille, une narration en voix-off (par Agnès Varda) nous explique que son corps va finir dans l’anonymat et la misère d’une fosse commune. Sous cette identité floue, la jeune femme a pourtant laissé un souvenir impérissable aux quidams qu’elle a pu croiser dans les dernières semaines de sa vie et le récit va remonter le fil de cette période. 

La narration adopte un point de vue neutre pour accompagner celle qui est pourtant le fil rouge du récit, et endosse un regard subjectif à travers le regard d’une multitude de protagonistes qui vont la rencontrer. Son nom (Simone ou Mona), les bribes de son passé, son caractère insaisissable, tout cela se révèle progressivement via ses interlocuteurs ponctuels et un traitement formel/narratif qui se plie donc à leur subjectivité. Ils projettent sur Mona leur solitude, bienveillance, mesquinerie comme méchanceté, en révélant autant sur eux-mêmes que sur leur rencontre furtive. Par extension, on peut aussi interpréter cela comme une forme d’égoïsme ordinaire et moderne à différentes échelles qui les empêche d’être pour Mona davantage qu’une péripétie, une aide passagère ou un moment désagréable. Le personnage de Mona en apparaît ainsi à la fois lucide et autodestructeur, se dérobant à tout lien, responsabilité ou ancrage qui pourrait l’étouffer, tout en se les voyant refuser quand elle semble malgré tout les désirer implicitement.

Cet équilibre impossible aboutira donc sur le récit d’une longue errance sans but, avec l’originalité de nous faire suivre une SDF en milieu rural plutôt qu’urbain. Agnès Varda a souhaité adopter pour le film les préceptes du Nouveau Roman. Il en découle donc ce ton neutre, et une narration ponctuée de confessions face caméra des différentes rencontres de Mona qui épaissit plutôt qu’il n’éclaircit le mystère autour de cette héroïne sans but, marginale, qui ne cherche plus qu’à survivre. 

La monotonie domine dans cette traversée d’environnements austères, où Agnès Varda alterne entre émotions contrastées telles que l’ennui, la complicité éphémère (joli moment avec Macha Méril) ou parfois l’horreur avec ce viol dont sera victime Mona hors-champ. Tous les moyens sont bons pour survivre, mais à force de fraternité factice, de solidarité variable et d’indifférence, bientôt la force de poursuivre ces lendemains sans but manque et c’est une boucle qui se forme avec la scène d’ouverture. Sandrine Bonnaire est excellente, exprimant à merveille l’instinct de survie, le sentiment de repli et l’incompatibilité à une existence « rangée » qui gagnent ces populations si longtemps réduite à vivre « sans toit, ni loi ».

Sorti en dvd zone 2 français chez Arte et disponible sur Netflix

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