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dimanche 16 octobre 2022

Souvenirs d’en France - André Téchiné (1975)

Dans les années 1930, on suit l’histoire de la blanchisseuse Berthe qui se marie avec le fils aîné d’une famille bourgeoise. Son beau-père, un immigré espagnol qui a fondé l’entreprise familiale, voit en elle, plus qu’en sa descendance, la maîtresse femme capable de maintenir dignement le flambeau familial…

Second film d’André Téchiné, Souvenirs d’en France naît de la non-concrétisation initiale d’un projet antérieur. Téchiné se lance avec la scénariste Marilyn Goldin dans l’idée d’un film sur les sœurs Brontë. Ils se voient malheureusement refuser l’avance sur recettes du CNC sous prétexte que ce type de sujet typiquement anglo-saxon n’a aucun intérêt à être traité en langue française. Téchiné réussira quatre ans plus tard à réaliser Les Sœurs Brontë (1979), mais en attendant décide d’adopter la même approche à rebours pour Souvenirs d’en France. Il s’agira là de poser le regard de sa scénariste anglo-saxonne Marilyn Goldin sur une fresque typiquement française, basé en partie sur les souvenirs provinciaux de Téchiné.

L’histoire suit des années 30 au 70 le destin de la famille Pedret, bourgeois de province ayant prospéré dans l’industrie agricole. La mise en scène plus que le ton austère du film confère une dimension romanesque et terre à terre visant à traduire la fascination autant la nature cadre étriquée de cet environnement. Cette volonté obéit au point de vue des deux protagonistes féminines, Berthe (Jeanne Moreau) et Régina (Marie-France Pisier). Berthe est une modeste lingère entretenant une liaison avec Hector (Michel Auclair), fils aîné des Pedret. La liaison doit se faire secrète, furtive, dans le contexte de caste particulièrement marqué en province, et lorsqu’elle sera découverte la sanction se fera par la réputation et l’économie pour Berthe. Régina est à l’inverse une fantasque jeune voyant dans son mariage avec Prosper (Claude Mann) une ouverture sur autre chose que la médiocrité et l’ennui qui l’entoure. La manière de filmer la grande demeure bourgeoise des Pedret varie ainsi selon le regard de Berthe ou Régina. 

Lorsque Berthe vient pour la première fois déposer du linge chez les Pedret, sa silhouette fait face à la demeure qui lui parait immense et intimidante. A l’inverse, Téchiné quand il filme Régina quittant la maison s’attarde sur un plan spécifique où elle fait face à la grille qui s’apparente aux barreaux d’une cellule de prison. Avant d’investir les lieux en tant qu’épouse, l’attrait de Berthe se ressent formellement et dans les interactions avec le patriarche (Aram Stephan) qui voit en elle un successeur plus valable que ses propres fils. Berthe a chez les Pedret une aisance naturelle familière que n’aura jamais Régina. Avec elle Téchiné oscille entre la flamboyance à laquelle elle aspire (la scène d’étreinte amoureuse sous la pluie) et le désespoir qu’elle ressent dans la platitude ce cadre. Le jeu des deux actrices est au diapason avec une Jeanne Moreau investie et rigoureuse quand Marie-France Pisier n’est que distance et ironie désespérée, offrant quelques séquences mémorables comme ce rire surjoué en sortant du cinéma.

La bascule entre les époques amène Téchiné à concevoir son récit sous forme de véritables tableaux en mouvement, dans un de ses films les plus stylisés. Le flashback du patriarche est un superbe moment (qui anticipe le final où l’usine se trouve à son tour dépassée par la modernité), tout comme certaines visions ponctuelles (ce camion surgissant d’un pont embrumé durant l’Occupation) frappant la rétine. Malheureusement tout cela est un peu désincarné la plupart du temps et peine à impliquer le spectateur sur l’ensemble - notamment la connexion superficielle avec les problématiques économiques contemporaines. Thématiquement tout se tient, formellement c’est constamment inventif mais l’émotion n’y est pas et le ton est assez froid. Néanmoins on peut considérer que le film pose les graines de l’approche extravagante plus réussie de Barocco (1976) et des atmosphères de Les Sœurs Brontë

Sorti en bluray français chez Carlotta


 

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