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mardi 18 octobre 2022

Le Monde ne suffit pas - The world is not enough, Michael Apted (1999)


 Après l'assassinat de Sir Robert King, un grand magnat du pétrole et ami d'enfance de M, celle-ci pense que la fille de ce dernier, Elektra, est en danger et est la prochaine cible des terroristes. James Bond se rend donc en Azerbaïdjan pour poursuivre son enquête, ce qui le fait évoluer dans le monde du pétrole.

Le James Bond incarné par Pierce Brosnan offre un paradoxe étrange. Il apparaît comme un des Bond les plus glacial, un barbouze impassible et solitaire (paradoxalement plus que Daniel Craig titan au pied d’argile) mais que paradoxalement les intrigues cherchent à impliquer plus émotionnellement dans les missions. Cela offre un décalage intéressant dans Goldeneye (1995), opus crépusculaire enterrant et ressuscitant Bond dans un même geste passionnant tandis que Demain ne meurt jamais (1997) voit un des éléments de son intrigue (l’ex jouée par Teri Gatcher) le rappeler à cette soumission éternelle de l’homme d’action à son devoir. Relativement bien traité dans Goldeneye, cette facette était noyée sous le déluge pyrotechnique dans Demain ne meurt jamais et pour sa troisième itération, Pierce Brosnan rêve d’un Bond plus profond, vivant un drame tutoyant les hauteurs de l’indépassable Au Service Secret de sa Majesté (1969) dans le registre bondien sensible. Les producteurs l’entendent en partie avec un scénario aux enjeux plus intimes. 

Pierce Brosnan incarne là un James Bond plus vulnérable, tant physiquement (la douleur à l’épaule qu’il endure tout le film) qu’émotionnellement. Les antagonistes jouent pour beaucoup avec une Elektra King (Sophie Marceau) ambivalente et dont les mauvais penchants sont guidés par un trauma originel implique M (Judi Dench) et le MI6. Bond ne s’y confronte pas à un simple méchant mégalomane mais à une femme meurtrie et brisée justement par l’exercice froid du devoir tel que le représente Bond. Notre héros conscient de cela ne peut arborer sa distance habituelle et doit s’impliquer pour rassurer cette jeune femme instable. Le retournement à mi-film est ainsi très intéressant en montrant un Bond qui en fendant l’armure se voit trahit. C’est une récurrence des opus les plus dramatiques de la saga où Bond en devenant plus humain, en se montrant capable d’aimer, en paie le prix dans Au Service Secret de sa majesté ou plus tard dans Casino Royale (2006) et Mourir peut attendre (2021). 

Renard (Robert Carlyle) l’autre méchant rendu insensible par une balle bloquée dans son cerveau complète cette thématique, redoutable par cette tare physique mais maudit car ne goûtant plus littéralement aux plaisirs et désirs ordinaires par cette malédiction. Il représente au sens propre du terme à la froideur insensible qui guette Bond, Elektra King étant la « femme fatale » propre raviver l’humanité de ces deux hommes d’action. Bond et son statut d’amant mâle alpha donne à Elektra ce que ne pourra jamais lui apporter Renard, mais ce dernier a gagné le cœur et la cause d’Elektra quand Bond n’y parviendra jamais. Les deux sont des antagonistes pour des motifs implicites dépassant l’intrigue concrète du film. 

Sur le papier c’est passionnant mais dans l’exécution les producteurs n’ont clairement pas encore le courage dont ils feront preuve à l’ère Daniel Craig. L’articulation formelle et narrative est donc terriblement laborieuse. Les scènes d’actions font soi dans la redite paresseuse (l’énième poursuite en bateau du pré-générique, la poursuite à ski vue et revue et paresseuse) soit dans le manque d’inventivité et d’ampleur quand quelques idées neuves se font sentir (les hélicoptères à scie circulaire, le sous-marin final). Comme Demain ne meurt jamais, les moyens et la grosse pyrotechnie sont là mais il manque totalement de la sidération, du « sense of wonder » inhérent à Bond pour ne laisser voir qu’un blockbuster nanti mais très générique. On a l’impression qu’il y a deux films en un, d’un côté le drame plutôt prenant et de l’autre le film d’action mécanique et sans âme. C’est pourtant quand le gigantisme et l’emphase bondienne se mêle aux émotions que les meilleurs volets décollent et pour revenir à Au Service Secret de sa Majesté, les climax dramatiques de ce dernier sont indétachables de ses outrances formelles, de son action échevelée, tout va de pair au service du récit. 

Donc là Sophie Marceau est vraiment convaincante et contribue à l’intensité des meilleures séquences comme cette ultime confrontation où elle oblige Bond à redevenir la machine à tuer qu’il a un temps enfouit. Robert Carlyle si intimidant quand il joue des méchants outranciers (Begbie dans Trainspotting (1996), le cannibale de Vorace (1999)) est malheureusement assez terne en terroriste torturé par son pouvoir/handicap, ce registre retenu ne lui sied guère. Michael Apted bon réalisateur au demeurant semble uniquement s’être impliqué sur le registre intimiste, mais qui ne fait jamais corps avec le côté spectaculaire qu’on devine exécuté par la seconde équipe. C’est plat, laborieux (la dernière bagarre entre Bond et Renard particulièrement poussive) et il faut toute l’implication d’un Pierce Brosnan pour maintenir l’intérêt quand la pauvre Denise Richards entre dans le club des James Bond girls potiches. Le Monde ne suffit pas est un Bond dont les quelques audaces ont mieux été exploitées avant, et le seront aussi après, mais en attendant le résultat est frustrant.

Sorti en bluray et dvd zone 2 franaçsi chez Sony

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