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mercredi 19 octobre 2022

Les Espions - Henri-Georges Clouzot (1957)


 La clinique psychiatrique du Docteur Malic, à Maisons-Laffitte, est au bord de la faillite. C’est alors qu’il fait connaissance du Colonel Howard, membre de l’institut de guerre psychologique des Etats-Unis, lequel lui propose de gagner cinq millions dont un immédiatement pour hospitaliser quelques jours dans sa clinique, et dans la plus grande discrétion, un agent secret nommé Alex.

Les Espions est un film pensé comme plus grand public par Henri-Georges Clouzot après l’accueil public tiède pour son documentaire Le Mystère Picasso (1956). Adaptant le roman Le Vertige de minuit de Egon Hostovský, le réalisateur s’y essaie au récit d’espionnage. Le genre ne va pas lui servir ici à développer un second niveau de lecture politique comme cela pu être le cas sur -même s’il s’en défendit- Le Corbeau (1943) ou Le Salaire de la peur (1953). Les enjeux géopolitiques nous apparaissent rapidement aussi nébuleux que pour le docteur Malic (Gérard Séty), malheureux héros embarqué malgré lui dans un jeu de dupes qui le dépasse. Le cadre ordinaire où se déroule des évènements extraordinaires est fréquent chez Clouzot (L’Assassin habite au 21 (1942), Le Corbeau, Quai des orfèvres (1947), Les Diaboliques (1955)), lui servant sous sa science du suspense à se faire le peintre d’une forme de comédie humaine où s’exprime son profond pessimisme. 

Cependant dans Les Espions Clouzot assume la dimension lâche et nébuleuse du récit d’espionnage dont les tenants et aboutissants ne seront jamais clairs. Comme évoqué plus haut c’est le cas pour le spectateur et le héros notre référent, mais ça l’est aussi pour les acteurs de cette partie d’échecs qui en définitive ne savent pas qui ils poursuivent, ni pourquoi, simplement guidés par les directives de blocs nébuleux. Chacun s’agite parce que l’autre fait de même dans une logique de l’absurde. Clouzot altère progressivement la perception de la réalité pour nous faire basculer dans ce monde parallèle et abscons de l’espionnage. La scène d’ouverture arpente une modeste ruelle de Maisons-Laffitte où la clinique fait face à un bar tabac, avec comme seul élément incongru cette voiture noire abritant le futur commanditaire de Malic. 

Une fois la trame lancée, Clouzot démultiplie cet effet initial en instaurant une atmosphère paranoïaque où tous les éléments de cette banalité sont parasités. La clinique, le café et la rue sont investis par des agents ne se cachant pas de leur statut et épiant Malic sans discontinuer. Clouzot instaure une atmosphère qui se veut à la fois paranoïaque, inquiétante et surréaliste. C’est un cauchemar éveillé où Malic croise les trognes menaçantes d’un casting haut en couleur : Peter Ustinov, Martita Hunt, Curd Jurgens ou encore Sam Jaffe. Le décor délabré de la clinique devient un personnage à part entière dont l’allure quelconque prend des atours oppressants, presque gothique en étant revisité par le climat anxiogène et la stylisation instaurée par la photo de Christian Matras. 

Mais la force du film est hétérogénéité tonale. Les moments absurdes et presque burlesques se conjuguent à de vrais sursauts de violence et de noirceur rappelant vite le monde impitoyable dans lequel on évolue. Ainsi décalage de la confrontation entre les agents et un taxi (Pierre Larquey) parisien jusqu’au bout des doigts crée un moment comique contrebalancé par la saisissante apparition nocturne de Curd Jurgens quelques minutes plus tard. Un effroyable assassinat dont on entendra l’exécution uniquement en hors-champs voit dans la scène suivante son auteur nettoyer le sang sur un tapis le plus simplement du monde. Clouzot fait volontairement tourner à vide son récit pour nous montrer la nature vaine, abstraite et insaisissable du McGuffin poursuivi par les protagonistes comprenant bien tard qu’ils ne sont tous que des leurres.

Chacun joue sa partition sans chercher à en savoir plus sauf Malic qui entre naïveté et bonnes intentions fait justement s’effondrer le stratagème en ne se contentant pas d’être un pion, en cherchant à être un acteur moralement engagé dans le drame en cours. Mais la conscience est une malédiction semble nous dire Clouzot, Malic étant en définitive vu comme un fou par le commun quand sa patiente muette Lucie (Vera Clouzot) en pur élément extérieur à pu assimiler les évènements. La fin ouverte est des plus glaçantes et ironique de la filmographie de Clouzot. 

Sorti en bluray français chez Coin de Mire

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