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lundi 16 janvier 2023

Paris, Texas - Wim Wenders (1984)


 Un homme réapparaît subitement après quatre années d'errance, période sur laquelle il ne donne aucune explication à son frère venu le retrouver. Ils partent pour Los Angeles récupérer le fils de l'ancien disparu, avec lequel celui-ci il part au Texas à la recherche de Jane, la mère de l'enfant. Une quête vers l'inconnu, une découverte mutuelle réunit ces deux êtres au passé tourmenté.

Paris, Texas est pour Wim Wenders un prolongement de sa thématique fétiche de l’errance déjà explorée dans Alice dans les villes (1973), Faux mouvement (1974) et Au fil du temps (1975). Le réalisateur mêle cela à la fascination qu’il a toujours eu pour les Etats-Unis et sa mythologie – élément perceptible notamment dans Hammett (1982), hommage à l’auteur de romans noirs Dashiell Hammett. Qui dit errance et USA dit forcément road-movie (le nom de la société de production de Wenders s’appelle d’ailleurs Road Movie Filmproduktion), sous-genre forcément associé aux grands espaces américains et faisant le pont entre modernité et imagerie mythologique du western. Cette notion de grand espace, d’horizon et de territoire constitue la base de la conquête de l’ouest, avec en ligne de mire la sédentarisation, la construction de la cellule familiale dont va découler l’identité américaine.

Le scénario de Sam Shepard, L.M. Kit Carson s’appuie sur cette base dans l’idée conjointe de la prolonger et la déconstruire. Travis (Harry Dean Stanton) est un homme sans nom, sans patrie ni foyer errant sans but dans le désert puisque tous ces socles fondateurs, il les a déjà perdus. Le récit poursuit la volonté de l’impossible ravivement du mythe tel qu’il fut idéalisé, pour aller vers la renaissance d’autre chose sentiment exprimé par le score lancinant de Ry Cooder, westernien sans l'être. Les souvenirs, le passé et les liens fragmentés de Travis se renouent progressivement par différents éléments. Les retrouvailles avec son frère Walt (Dean Stockwell), puis son fils Hunter (Hunter Carson) le reconnecte avec ses racines, les vivants et la magnifique scène du film de vacances lui rappelle à travers la patine onirique du Super-8 un paradis perdu révolu, mais qui peut renaître en retrouvant son épouse Jane (Nastassja Kinski).

Pour cela il faut que cet horizon obsessionnel mais trop incertain guide enfin à quelque chose pour Travis. Le fait de retrouver (au bout de 30 minute de film) la parole, puis ses proches redéfinit l’identité de notre héros, puis le ramène à ses responsabilités au contact de son fils. Mais avant d’envisager un futur, il doit affronter le passé et des démons enfouis dont les regrets parcourent tous le récit en filigrane. Wim Wenders en passant de l’aridité du désert au foisonnement et à la symétrie urbaine des villes nous guide vers cela, de Los Angeles à Houston. La re-matérialisation du fourmillement de vie, de l’architecture massive après la désolation initiale fait du paysage un véritable prolongement mental de l’état d’esprit du héros. Le territoire n’est plus un lieu à conquérir, mais un cadre où il faut de nouveau chercher et trouver sa place. Une fois ces fondations posées, Travis est enfin prêt à affronter la culpabilité qui le ronge dans un pur moment intimiste qui le plonge au plus profond de lui-même et de sa compagne Jane.

Le dialogue poignant, le travail sur le jeu de miroir, le mimétisme du geste durant l’échange entre Travis et Jane, tout concourt à faire de cet instant introspectif un grand moment de cinéma. Les cadrages de Wim Wenders font par instants de la fenêtre opposée de l’interlocuteur une sorte de bulle mentale où Travis rêve peut-être simplement d’être écouté par Jane à laquelle il exprime ses remords. De la même façon cette dernière imagine-t-elle simplement le visage de Travis que la vitre supposée opaque lui renvoie, manière d’expier et de pardonner à son tour à cet amour perdu. 

Ces deux sentiments de regrets se rejoignent quand le jeu de reflet entremêle leur visage, les traits marqués de Travis se posant sur la silhouette du visage et la coiffure blonde de Jane. Beaucoup est dit par le dialogue, et encore davantage par l’image dans un équilibre captivant. Ces retrouvailles permettent de comprendre que l’on ne peut être et avoir été, le mythe/souvenir ne peut se raviver tel qu’il a auparavant existé, et doit désormais devenir autre chose. Une nouvelle cellule familiale nourrie du passé sans le reproduire. Une grande réussite qui vaudra la Palme d’or à Wim Wenders au Festival de Cannes 1984 dans ce qui restera son film le plus célèbre. 

Sorti en bluray français chez Arte et visible en ce moment sur la plateforme Mubi

1 commentaire:

  1. Elle est touchante la scène de projection du super-8. Comme beaucoup d'autres dans ce film. Paris, Texas, c'est tout à fait ce que vous dites, une errance et une place à retrouver, probablement après avoir fait le deuil d'une vie passée.

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