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mercredi 18 janvier 2023

L'Enjeu - State of the Union, Frank Capra (1948)

A la mort de son riche père, Kay décide de réaliser son rêve le plus cher : contrôler le parti républicain. Dans ce but, elle retrouve un ancien flirt qui, à sa grande déception, est marié. De son côté, grisé par le succès qu'obtiennent ses discours, Grant en viendrait à oublier son idéal si sa femme, Mary, ne le secouait vivement.

State of Union est pour Frank Capra le film qui suit l’injuste échec commercial de La Vie est belle (1946). Adapté d’une pièce jouée en 1945, le film permet à Capra de renouer avec un de ses postulats de prédilection, la perte d’innocence d’un naïf plongé dans un microcosme corrompu. On a pu l’observer dans L’Extravagant Mr Deeds (1936), Monsieur Smith au Sénat (1939) et L’Homme de la rue (1941). Ici l’argument servira à observer les coulisses d’une campagne d’investiture à la candidature présidentielle. Le « naïf », c’est Grant Matthews (Spencer Tracy), entrepreneur d’aviation droit dans ses bottes et pétri de bonne intentions pour son pays. Le ver est pourtant déjà dans le fruit puisque cette ambition naît chez lui d’intérêt supérieurs guidés par son amante Kay Thorndyke (Angela Lansbury), héritière d’un empire de la presse qui souhaite à travers lui montrer l’aptitude de ses médias à imposer un candidat à l’opinion. La première scène où elle et le conseiller Jim Conover (Adolphe Menjou) tentent de convaincre Grant est à ce titre frappante, le fond progressiste du propos de Grant leur importe moins que son charisme, son éloquence et le sentiment de proximité qu’il dégage. C’est un « produit » apte à convaincre toutes les couches de la société, pour peu qu’il se laisse polir.

La seule réticence de Grant concerne l’opinion de son épouse Mary (Katharine Hepburn), véritable garde-fou apte à vite faire descendre de ses gonds le grand homme d’une pique bien sentie. L’enjeu ne reposera donc pas sur l’élection de Grant, mais sur sa capacité à garder cette droiture qui le caractérise et qui est aussi le socle de son couple. C’est vraiment la corrélation de cet enjeu moral et sentimental qui fait toute la force du film. Si l’on en reste sur la seule facette politique, le récit souffre d’être à la fois trop manichéen et trop approfondi. Les coulisses sont croquées avec virulence mais pour un résultat trop simpliste, alors que nous ne sommes pas tout à fait dans la pure fable des films précédents et que l’on ne peut pas qualifier Grant de candide à la Mr Deeds, John Doe ou Mr Smith. Sa corruption progressive est trop grossière, surtout si l’on compare à certains grands films politiques à venir sur le même postulat comme l’excellent Votez McKay de Michael Ritchie (1972).

Mais la facette sentimentale rend le tout captivant et enrichit le propos. C’est en grande partie dû à la grande alchimie du couple Spencer Tracy/Katherine Hepburn, dont la complicité fait mouche dans les moments les plus piquants (par un bon mot vachard, un geste tendre) et dont l’émotion est déchirante quand le lien entre eux se distend. Mary est la bonne conscience de Grant, celle qui l’enjoint à rester lui-même et fidèle à ses convictions, l’assurance et la sincérité de son homme renforçant son amour pour lui. A l’inverse Kay est son mauvais ange, flattant son égo pour faire de la victoire plutôt que sa vision de la société la motivation de sa candidature. Une fois ce cap perdu de vue, Grant se prête à tous les compromis pour augmenter sa base, au grand désarroi de son épouse.

Katharine Hepburn (remplaçant à la dernière minute Claudette Colbert initialement prévue) excelle comme souvent en vilain petit canard malmenant les carcans sociaux. Cela passe souvent par son espièglerie anticonformiste dans des chefs d’œuvres comme Vacances (1938) ou Indiscrétions de George Cukor (1940), et Capra y ajoute ici une émotion à fleur de peau, une vraie détresse à voir son époux céder à la tentation. Plus que les séquences certes basées sur la réalité mais assez clichés dans le traitement (les accords pour s’assurer les votes de différentes couches sociales ou ethniques), c’est le dépit de cette femme dont la haute opinion de son mari s’effondre qui émeut.

Capra capture d’ailleurs brillamment la manière dont cette spontanéité faisant la force de Grant s’estompe, dans le discours désormais aseptisé pour ne déplaire à personne, mais aussi dans la folie douce qui le caractérisait (la première scène où il fait des facéties en avion, la seconde où tout à ses stratagèmes il s’en désintéresse). Ainsi, ce ne seront pas les grands discours qui raviveront la conscience de Grant, mais ce moment où sa femme ne croyant plus en lui ne le houspille plus, et se sacrifie à son ambition dans un discours formaté. C’est seulement là qu’il comprendra s’être non seulement perdu lui-même, mais avoir entraîné ses proches dans sa déchéance morale. C’est vraiment puissant et particulièrement touchant, la réflexion politique ramenée à des questionnements intimes donnant toute sa portée au film.

Sorti en bluray français chez Movinside


 

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