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vendredi 9 juin 2023

Chronique d'un amour - Cronaca di un amore, Michelangelo Antonioni (1950)

Un riche industriel engage un détective privé pour enquêter sur le passé de sa femme. Se rendant à Ferrare, ville où Paola a vécu et fait ses études, l’homme apprend que sept ans auparavant, la jeune femme a aimé Guido, un modeste vendeur de voitures dont la fiancée s’est suicidée...

Chronique d'un amour est le premier long-métrage de Michelangelo Antonioni. Avant ces premiers pas, Antonioni a pu être un observateur et théoricien du cinéma italien en tant que critique au sein de la revue Cinema (où il côtoie d'autres futurs cinéastes talentueux comme Giuseppe De Santis, Carlo Lizzani, Antonio Pietrangeli), avant d'en être l'un des acteurs lorsqu'il fut scénariste pour Roberto Rossellini, assistant en France pour Marcel Carné sur Les Visiteurs du soir (1942). Fort de ce parcours après des études au Centro sperimentale di cinematografia de Rome, il se lance débute initialement dans le documentaire, tant la fiction semble encore marquée du sceau néoréaliste. Chronique d'un amour va ainsi marquer une vraie rupture avec la production italienne de l'époque en troquant sur les milieux démunis et les thématiques sociales pour observer un environnement bourgeois peu présent sur les écrans.

Chronique d'un amour est un récit de passion et de pouvoir. Fontana (Ferdinando Sarmi), un riche industriel signe sa propre perte lorsqu'il souhaite faire mener par un détective une enquête sur son épouse Paola (Lucia Bosé). Il ne la soupçonne d'aucune infidélité mais ne supporte tout simplement pas qu'il y ait une zone d'ombre de sa vie qui lui reste inconnue, même après sept de vie commune. La narration oscille ainsi entre un ton neutre sur l'enquête du détective (Gino Rossi) nouant les fils de ce passé mystérieux, et un ton plus enflammé où les conséquences de l'investigation mènent aux retrouvailles de Paola et un ancien amour Guido (Massimo Girotti). Antonioni oppose également l’oisiveté et la superficialité du cadre bourgeois de Paola avec la réalité et la passion des moments passés avec Guido. 

Peu à peu cette différence s'estompe en révélant qu'un secret lie Guido et Paola, "coupables" de ne pas avoir sauvé celle qui s'immisçait entre eux lors de leur première liaison. Dès lors chaque baiser et mot doux ce voit teinté de ce passif et l'austérité des environnements (la chambre misérable de Guido ou la grisaille milanaise sinistre) où se retrouve le couple relève concrètement de cette dissimulation adultérine, mais symboliquement du sceau de l'infamie et de la culpabilité quant à leurs actions passées. Il y a déjà cette volonté d'errance existentielle qui sera au centre des grands films à venir d'Antonioni même si sur Chronique d'un amour la rupture n'est pas encore esthétique, ce sont les dialogues acerbes du couple davantage que les moments suspendus qui déploient le malaise.

Il y aurait eu notamment un mimétisme intéressant à façonner si l'on avait pu voir, même en flashback le drame initial. Antonioni parvient malgré tout en poser un climat de tension coupable grâce à des réminiscences cruelle, comme lorsque le couple voit un ascenseur (instrument de la mort de la première rivale) remonter lors d'une rencontre. On comprend aussi que le fossé social entre eux est désormais insurmontable et qu'une autre gêne intervient dans leur union secrète, Lucia Bosé excellant dans le registre de la bourgeoise manipulatrice et matérialiste. La lâcheté qui détermina leur faute passée reposait sur l'inaction, cette même lâcheté s'exprimera par la tentation de l'acte criminel pour vivre leur passion au grand jour. La noirceur et l'ironie de la conclusion les enfoncent encore davantage et renforce le nuage noir planant sur leur liaison. Malgré quelques longueurs, un galop d'essai vraiment marquant et contenant en germe tous les grands thèmes antonioniens. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

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