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mardi 7 novembre 2023

Hail to Hell - Jiogmanse, Lim Oh-Jeong (2023)


 Na-mi et Sun-woo ont passé leur scolarité à être harcelées. Liées par un pacte suicidaire et prêtes à en finir, elles découvrent que leur tourmenteuse en chef, Chae-lin, étudie désormais à Séoul et s’apprête à partir vivre à l’étranger, heureuse. Poussées par la colère, elles se mettent à sa recherche, assoiffées de vengeance. Mais ce que les deux adolescentes vont trouver dans leur quête est loin d’être ce à quoi elles s’attendaient…

Le harcèlement scolaire est un mal social majeur en Corée du sud, et qui a déjà été l’objet de nombres de fictions cinématographiques âpres tels que Suneung de Shin Su-won  (2013) ou After my death de Kim Ui-seok (2017) parmi celles que l’on a pu découvrir en France. Le postulat de Hail to Hell, première réalisation de Lim Oh-jeong semble donc nous promettre un récit oppressant dans cette lignée, mais va s’avérer prendre des directions aussi inattendues que pertinentes.

Le film s’ouvre certes sur deux séquences d’humiliations cruelles subies mutuellement par Na-mi et Sun-woo, entre violence gratuite et racket. Cette nature de souffre-douleur semble être le seul motif de rapprochement des deux adolescentes aux caractères dissemblables, la timide et effacée Na-mi face la volubile et colérique Sun-woo. Le registre sordide est désamorcé par une tentative avortée de suicide commun envisagée par les jeunes filles. Plutôt que de diriger leur souffrance contre elles-mêmes, pourquoi pas se venger contre Chae-lin, la camarade à l’origine de leur terrible statut. Celle-ci désormais installée à Séoul, Na-mi et Sun-woo remontent la piste jusqu’à son nouvel établissement scolaire et vont tomber sur une surprise de choix.

Lim Oh-jeong souhaite, au-delà du sujet du harcèlement, dénoncer le violent schéma pyramidal fonctionnant sur la seule notion de dominant/dominé existant au sein de la société coréenne. L’école et la notion d’harcèlement scolaire n’est qu’une des partie et racine de mal, l’autre pouvant être la religion et plus spécifiquement les sectes innombrables dans le pays. C’est précisément la direction où nous emmène le scénario puisque la vendetta de nos héroïnes tourne court lorsqu’elles vont être chaleureusement accueillies par leur ancienne tortionnaire au sein de son nouvel environnement. Il s’agit d’une secte au sein de laquelle Chae-lin semble avoir appris de ses erreurs et se montre désormais douce et repentante. La réalisatrice au lieu de forcer le trait du glauque, montre au contraire les mécanismes manipulateurs et doucereux permettant de gagner la confiance et assujettir les esprits faibles. La force du mantra répétitif, la promesse d’un ailleurs plus beau que cette réalité dans laquelle on souffre, le calme loin du tumulte extérieur, tout cela constitue des éléments propres à apaiser les cœurs meurtris. Si Chae-lin reste un masque souriant opaque, on peu observer l’influence néfaste sur Na-mi et Sun-woo dont le quotidien familial prolongeait les difficultés scolaires. 

L’esprit revanchard et la hargne des héroïnes est éteinte, ou du moins chloroformée par l’excès de bienveillance, notamment Sun-woo perdant toute son énergie vindicative. Mais sous ce cadre aux énergies positives, il s’agit bien de reproduire là des schémas de soumission bien connus. Avant de révéler la supercherie de la secte, la réalisatrice rejoue cette construction à travers les individus. Avant d’être à son tour harcelée, Sun-woo était une des « lieutenant » de Chae-lin qui conserve implicitement une emprise sur elle et étouffe par sa douceur (comme elle le fit autrefois par sa violence) toute tentative de rébellion. Na-mi, enfant délaissée dans sa famille et vulnérable dans le collectif lycéen a au contraire l’œil pour détecter le harcèlement plus sournois se mettant en place envers une autre adolescente au sein de la secte. Les trajectoires des deux héroïnes s’inversent, la plus solide n’étant pas forcément celle initialement envisagée.

Lim Oh-jeong a l’intelligence de nous faire découvrir le piège par l’absurde dans sa description du fonctionnement de la secte, et par les réactions ahuries des héroïnes qui le découvre. En cela elle capture parfaitement la logique sectaire qui ne s’abat sur vous qu’après avoir insidieusement brisé votre vigilance et volonté. Ainsi sous les attentions positives, on décèle un melting-pot de croyances improbable (On scande des « shalom » sous des croix chrétiennes tout en promettant l’accès à un paradis de dénomination et imagerie bouddhiste) dont la consécration se joue dans une pure compétition savamment calculée. Même sous couvert pseudo spirituel, ce cocon ne semble pas si différent de l’adversité ordinaire de la société coréenne.

Si Lim Oh-jeong rejette le sacré institutionnalisé et vicié destiné à manipuler, elle fait pourtant exister la notion d’entraide et de pardon qui va sauver ses personnages. Même les gourous et croyants adultes de la secte montrent peu à peu une part de vulnérabilité qui les a conduits à ce stade, élément qui dénonce autant un système que les individus. Les adolescentes malgré leur détresse ne sont pas encore suffisamment écrasées et formatées par l’expérience de la vie pour basculer, et c’est ce qui va guider toute la fuite en avant du climax final. 

Une nouvelle fois plusieurs situations menant à une œuvre plus glauque sont désamorcées pour solliciter une sororité adolescente surmontant l’adversité. Les héroïnes très attachantes dans leurs forces et contradictions sont pour beaucoup dans l’empathie ressentie, Lim Oh-jeong menant par ailleurs très bien le dosage de tension, d’humour et d’études de caractères dans un cadre de huis-clos. En définitive cela donne une œuvre attachante et très imprévisible où au bout du chemin, l’on n’a pas encore réussi à échapper à « l’enfer » de l’adolescence mais l’on est désormais bien mieux armé pour l’affronter. 

Vu dans le cadre du Festival du Film coréen à Paris

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