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vendredi 16 février 2024

Au feu, les pompiers ! - Hoří, má panenko, Milos Forman (1967)


 Dans une petite ville de Tchécoslovaquie le bal annuel du corps des pompiers volontaires se prépare. Ce sera l'occasion de remettre la Hache d'or à l'ancien chef des pompiers, âgé de 86 ans. Le comité a prévu un bal, mais également une tombola et l'élection de miss Pompiers. Les prix de la tombola sont volés peu à peu, en commençant par ceux consistant en nourriture.

Au feu les pompiers ! est le dernier film réalisé par Milos Forman en Tchécoslovaquie. En effet, alors qu’il effectue la promotion du film à travers l’Europe, les chars soviétiques pointent le bout de leurs canons en Tchécoslovaquie et mettent fin à la parenthèse enchantée du Printemps de Prague. Comme un symbole avant-coureur, c’est donc avec Au feu les pompiers que Forman va signer sa farce la plus corrosive. Isolé dans la campagne tchèque avec ses coscénaristes Ivan Passer et Jaroslav Papoušek, Forman a l’occasion d’observer le bal des pompiers d’une petite ville. Les situations et figures pittoresques en présence stimulent l’imagination des scénaristes qui vont par la suite approfondir la question échangeant avec les pompiers à la taverne locale, le temps de recueillir quelques anecdotes croustillantes.

Forman voit dans ce « spectacle » une sorte d’instantané de la situation du pays qu’il va croquer dans une satire hilarante. Le microcosme de ces pompiers va ainsi s’avérer l’allégorie de la bureaucratie et une allusion à différents scandales politiques ayant secoués le pays. Le président Antonín Novotný et du Parti communiste se sentent visés à juste titre et manifestent leur mécontentement tandis que les pompiers menacent de faire grève. Forman use de tous les artifices à disposition pour dénoncer la corruption et les petites mesquineries ordinaires par le prisme de ce groupe de pompiers vieillissant. Le culte du chapardage et de l’individualisme est fustigé lorsque les lots d’une tombola organisée dans le cadre du bal disparaissent mystérieusement, les pompiers autant que les danseurs faisant office de suspects dans un pays souffrant de dénuement quant aux produits de première nécessité. La solidarité est une façade hypocrite lorsque le but du bal s’avère un geste envers l’ancien président des pompiers (et un tordant pied de nez final), mais en pratique un mot (et un sentiment) que l’on cherche lors de l’hilarant discours d’entraide d’un pompier.

L’organisation d’un concours de beauté en parallèle permet de fustiger de manière sous-jacente la corruption du régime, les candidates entrant ou sortant de la liste au gré des amitiés nouées, et prête à tout pour concourir y compris un strip-tease. Les pompiers sont des libidineux facilement corruptibles, et les beautés sont volontairement affublées de physique disgracieux comme pour traduire la laideur de la société par le visage de ceux et celles qui la composent. La misère est un état qui se regarde de loin, à l’image de ce grand-père dont l’incendie de la maison devient un spectacle auquel on assiste indifférent, prétexte au commerce et à l’exploitation. Forman n’épargne rien ni personne dans ce brûlot dévastateur qui, s’il trouve une construction narrative plus classique que ses œuvres précédentes, se montre fort inventif formellement dans son grotesque et baigne ses assauts d’une chatoyante photographie couleur (une première pour Forman) de Miroslav Ondříček. 

L’exploitation locale du film sera en partie sabotée même si la censure n’a pas encore cours dans cette liberté d’avant l’invasion soviétique. A l’international et notamment en France, il faudra le support des amitiés de Claude Chabrol et François Truffaut pour rendre le film visible. Déjà en discussion pour entamer un début de carrière américaine, Forman va ainsi de fait franchir le pas avec Taking Off (1971) puis aller vers les grandes réussites que l’on sait. 

Sorti en bluray français chez Carlotta 

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