Pages

mercredi 28 février 2024

Total Recall - Paul Verhoeven (1990)


 En 2048, Douglas Quaid mène une vie tranquille. Cependant, il ne se sent pas à sa place et rêve très fréquemment de Mars alors qu'il ne s'est jamais rendu sur cette planète. Obsédé par ce rêve, il est intéressé par les offres de la société Rekall qui propose à ses clients l'implant de souvenirs factices. Il décide de se faire implanter un souvenir chez Rekall. C'est alors que sa vie change brusquement...

Après le tour de force de Robocop (1987) qui l’imposa dans le paysage hollywoodien, Paul Verhoeven persévère dans la science-fiction avec Total Recall. Le film est l’aboutissement d’un development hell de longue haleine, puisque cette adaptation de la nouvelle Souvenirs à vendre de Philip K. Dick est envisagée dès les années 70 par les scénaristes Ronald Shusett et Dan O'Bannon. Comprenant que leur script trop ambitieux peinera à trouver un financement et s’avère périlleux à mettre en œuvre avec les effets spéciaux de l’époque, ils se reportent avec la réussite que l’on sait sur ce qui deviendra Alien de Ridley Scott (1979). 

Le projet passe de main en main durant les années 80, dont celle de Dino de Laurentiis proche d’aboutir avec tour à tour Bruce Beresford et David Cronenberg à la réalisation. Ce dernier jette l’éponge en comprenant qu’on lui réclame principalement un film d’action, mais nombre de ses idées perdureront, notamment tout l’aspect mutation et body horror associé à la planète mars. L’ensemble se décante avec la prise en main du projet par Arnold Schwarzenegger qui parvient à convaincre la compagnie Carolco (qui produira par la suite Terminator 2 (1991) sous l’impulsion de la star une fois de plus) de financer le film et ira chercher Paul Verhoeven dont le Robocop l’a fortement impressionné. Sous l’impulsion du « hollandais violent », Total Recall acquiert enfin la hauteur de vision attendue pour devenir un grand jalon de la SF contemporaine.

Seul le premier tiers du film est réellement fidèle à la nouvelle de Dick (dont les prémices serviront aussi au manga et à l’animé Cobra de Buichi Terasawa), soit jusqu’à la révélation de Quaid (Arnold Schwarzenegger) après son expérience au sein de Rekall. Auparavant les éléments de la facticité de l’existence de Quaid s’inscrivent dans un semblant de normalité, notamment la dichotomie entre son épouse au physique de rêve, sa demeure cossue et son modeste métier d’ouvrier de chantier. La prise de conscience de son passé trouble va au contraire faire entrer l’extraordinaire dans la vie de Quaid, en contrepoint de soubresauts politiques et sociaux bien réels sur Mars. A l’image de la personnalité double de son héros, les deux niveaux de perception du récit sèment un brouillard entre le présent de salary man ennuyeux, le passé de super espion et la réalité d’un Quaid totalement perdu quant à son identité profonde. Verhoeven sème ce doute par un travail constant sur les jeux de miroirs où Quaid s’observe, se regarde et interagit avec lui-même via les écrans, les hologrammes, en subissant longtemps les évènements avant de duper ses adversaires par cette nature double qu’il maîtrise désormais lors d’un des rebondissements finaux. 

Le scénario parvient avec une efficacité remarquable à poser un contexte géopolitique, des problématiques sociales et une véritable mythologie quant au passif de la planète Mars. Tout comme dans Robocop et plus tard Starship Troopers (1997), les flashs infos sur les multiples écrans livrent une réalité faussement crue mais bel et bien biaisée de ce cadre qui prolonge le capitalisme carnassier des instances de Robocop et préfigure la dictature de Starship Troopers. On retrouve d’ailleurs en grand méchant Ronny Cox, entre le mogul aux dents longues de Robocop et une nature plus primitive de tyran sournois. Tous les excès lui sont permis tant que l’exploitation de tiberium, formidable matière première martienne, ne s’interrompt pas. On pourrait donc faire un rapprochement avec le Baron Harkonnen de Dune (dont la première adaptation de David Lynch fut produite par Dino de Laurentiis) mais Verhoeven se déleste de tout mysticisme et mythologie. Ou plutôt, il l’équilibre avec la nature profonde de ses protagonistes. Les vues de Ronny Cox dans son bureau de PDG sur fond de baie vitrée face à un impressionnant paysage martien expriment ce que lui inspire cet environnement, une source de profit illimitée. Les errances de Quaid entre lieux de transit, de transport et de perdition cosmopolites (le bar à prostituées martien) traduisent sa confusion et ce n’est qu’en allant au cœur de la planète et de ses secrets qu’il finit par se révéler à lui-même, loin des identités que l’on a cherché à lui imposer.

Paul Verhoeven livre un blockbuster alerte, souvent impressionnant dans son décorum et créant une véritable fascination pour ce cadre martien entre intérieurs sophistiqués mais domestiqués, et extérieur sauvage et dangereux par son atmosphère viciée. C’est une pierre de plus à ajouter à cet édifice du double construit tout au long du film et résolut par sa conclusion spectaculaire où une fusion des deux environnements martiens contribue à rendre la planète vivable. Il en va de même pour Quaid dont les « moi » coexistent pour en faire un individu neuf dans une société où la mutation est reine, via les maquillages incroyables de Rob Bottin. Ce n’est pas forcément le meilleur de la « trilogie » SF de Paul Verhoeven (la faute à quelques designs ayant un peu vieillis, et de rebondissements parfois poussifs) mais cela reste une proposition de SF ambitieuse et sans concession (la barbarie et les déferlements d’hémoglobine dans un contexte « grand public »). 

Sorti en bluray chez StudioCanal

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire