Quatre garçons passent leurs vacances d'été
ensemble dans un pensionnat. Yu, un des garçons, décide de mettre fin à
ses jours en sautant d'une falaise suite à l'amour à sens unique qu'il
porte pour Kazuhiko, un autre garçon. Un jour, un nouveau, nommé Kaoru
arrive au pensionnat. Il ressemble fortement à Yu mais prétend être
quelqu'un d'autre. Kazuhiko commence par être fasciné par Kaoru...
Summer Vacation 1999 est une superbe adaptation libre d'un des chefs d'œuvres du manga shojo, Le Cœur de Thomas de Moto Hagio publié en 1975. Le Cœur de Thomas appartient au shōnen'ai,
un des sous-genres du shojo qui se caractérise par sa description des
relations intimes entre jeune garçon. Par son côté chaste et sa
prédilection pour les atmosphères romantiques, il anticipe mais se
différencie également du boy's love qui
sera bien plus explicite dans sa description de l'homosexualité
masculine. On peut considérer que Moto Hagio, avec d'autres de ses
collègues féminines ayant émergé du mouvement du Groupe de l'An 24, est
une des fondatrices de ce courant qu'elle alimentera aussi avec un autre
de ses titres phares, le récit vampirique Le Clan des Poe
publié à la même période.
Esthétiquement et thématiquement, ces titres
se caractérisent par la profonde androgynie de ses personnages
masculins, la délicatesse et l'onirisme de ses atmosphères trouvant leur
inspiration dans la culture européenne, et notamment cinématographique
puisqu'une des influences de Moto Hagio sur Le Cœur de Thomas sera le film Les Amitiés particulières de Jean Delannoy - on peut soupçonner aussi qu'un film comme Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier a très certainement eut un impact important sur ce courant.
Le film de Shusuke Kaneko s'avère une adaptation assez fidèle, suivant
en grande partie la trame du manga hormis sa conclusion très
différente. Summer Vacation 1999 possède
cependant sa propre identité, ses singularités que l'on peut en partie
attribuer à Rio Kishida, collaboratrice phare du cinéaste d'avant-garde
Shūji Terayama pour lequel elle signa les scripts de Les Fruits de la passion (1981) et Adieu l'Arche (1984). Summer Vacation 1999
se caractérise ainsi par un côté hanté et une dimension fantastique
bien plus prononcée. Le film s'ouvre sur le suicide de Yu (Eri
Miyajima), désespéré après avoir été éconduit par son camarade de
pensionnat Kazuhiko (Tomoko Ōtakara), et qui va se jeter d'une falaise
non sans avoir adressé une ultime lettre d'adieu à son aimé. Cette
entrée en matière mystérieuse et dramatique envoute d'emblée, par son
côté flottant et gothique jouant du contraste entre l'incroyable décor
isolé du pensionnat à la pure architecture occidentale et le fait
d'avoir des adolescents japonais.
Shusuke Kaneko assume les spécificités
et influences du manga, et en use pour installer un climat d'inquiétante
étrangeté, entre psychanalyse et expression du surnaturel. C'est
notamment le cas en choisissant de rejouer l'androgynie des héros de
papier en les faisant jouer par des actrices, les traits, la silhouette
et démarche de ces dernières ne laissant jamais planer le doute quant à
leur genre (laissant planer l'influence du théâtre Takarazuka, forme sous laquelle fut d'ailleurs aussi adapté Le Coeur de Thomas) mais provoquant un trouble croissant chez le spectateur - on
peut soupçonner un Bertrand Mandico d'avoir probablement vu ce film
avant de s'attaquer à Les Garçons sauvages
(2017). Autres partis-pris audacieux, celui de s'appuyer justement sur
la photogénie de ses actrices uniquement, tout en les faisant doubler
par d'autres interprètes ce qui ajoute une touche de bizarrerie mais
contribue aussi à la dissonance de leurs émotions.
Cette tonalité hantée s'illustre par le choix de vider le pensionnat de
ses élèves en faisant se dérouler l'intrigue durant les vacances d'été.
Cependant, le dernier jour de classe et le tumulte des départs n'existe
que par le son tandis que les espaces sont vides, hormis les trois
élèves contraints de rester, et qui avaient tous un lien affectif avec
le disparu Yu. Un quatrième et nouvel élève va s'ajouter à eux, Kaoru
(Eri Miyajima) qui s'avère le sosie parfait de Yu. Coïncidence étrange,
fantôme venu les hanter, doppelgänger cherchant à les tourmenter, les
questions abondent quant à cette ressemblance improbable. Cependant, le
caractère bien trempé de Kaoru s'avère aux antipodes de la timidité de
Yu même si chacune de ses actions constitue une réminiscence
déstabilisante pour ses compagnons.
Sa présence sert de révélateur aux
autres quant à leur sentiments non résolus par rapport à Yu. Pour l'aîné
Naoto (Miyuki Nakano) c'est le "retour" d'un rival alors qu'il est
amoureux de Kazuhiko. Ce dernier est rongé par la culpabilité de sa
responsabilité dans le suicide de Yu, sentiment ravivé par la présence
de Kaoru. C'est aussi l'occasion pour lui de s'interroger sur les
raisons l'ayant amenée à rejeter Kaoru dont on comprend qu'il partageait
sans doute l'attirance. Enfin le cadet Norio (Eri Fukatsu, seule
actrice non doublée et qui fera une grande carrière par la suite, vue
dansHarude Yoshimitsu Morita (1996) ou encore Vers l'autre rivede Kiyoshi Kurosawa (2015)) voyait en Yu son seul ami et camarade de jeu alors qu'il était rejeté par les autres.
Shusuke Kaneko installe un décorum rétrofuturiste, où la modernité
incongrue (les adolescents travaillant sur des écrans d'ordinateur qui
ajoutent involontairement à la touche vintage) s'invite dans un cadre
convoquant justement un certain romantisme occidental et nostalgique. On
se demande parfois si tous les protagonistes ne sont pas justement des
fantômes rejouant la comédie d'émotions et culpabilités passées, par
exemple par le fait qu'ils soient livrés à eux-mêmes sans la moindre
présence d'un adulte, et l'aspect isolé du pensionnat. L'ambiance est en
tout cas envoutante, les futilités et rires adolescents se disputant à
des questionnements plus profonds sur l'amour, le deuil et le temps qui
passe.
Shūsuke Kaneko capture les extérieurs dans une magnificence
pastorale baignée dans la photo diaphane de Kenji Takama, tandis que les
intérieurs constituent un écrin sensuel où se libèrent les pulsions
intimes, mais aussi se manifestent les possibles fantômes à travers les
jeux d'ombres inquiétants et la colorimétrie bleutée. On est vraiment
happé par cette touche étrange et introspective, appuyée par le score
délicat de Yuriko Nakamura au piano, l'émotion fonctionne vraiment et
l'ambiguïté sur les identités et intentions de chacun plane jusqu'au
bout. Le film assume en effet une résolution fonctionnant davantage de
façon sensitive et psychanalytique que logique, le côté hanté et
répétitif existant jusqu'au bout, mais pour des protagonistes désormais
apaisés et assumant leurs natures. Beau film s'emparant avec grâce et
originalité des émois adolescents.
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