Ginger (Katharine Isabelle) et Brigitte (Emily Perkins) sont deux sœurs inséparables. Une nuit, une bête, surgie de nulle part, griffe le dos de Ginger. En dépit d'une plaie quelque peu superficielle, Ginger n'est plus comme avant. Son attitude a changé. A l'approche de ses menstruations, elle devient de plus en plus avide de garçons. La vérité prend alors forme sous les yeux horrifiés de Brigitte : sa sœur est devenue un loup-garou.
Ginger Snaps est une œuvre usant du thème de la lycanthropie comme une métaphore des mues biologiques et mentales de l’adolescence. Le scénario fait conjugue ce passage à l’âge adulte à deux personnages, Ginger (Katharine Isabelle) et sa sœur cadette Brigitte (Emily Perkins). N’ayant qu’un an d’écart, les deux sœurs ont une véritable relation fusionnelle les isolant des autres de manière justement biologique et psychologique en les maintenant dans le monde de l’enfance. Agées de 16 et 15 ans, elles n’ont toujours pas entamé leur cycle menstruel au grand désespoir de leur mère (Mimi Rogers), ce qui par extension marque aussi leur profond désintérêt pour les relations amoureuses, centre d’intérêt majeur de leurs camarades.
Ginger et Brigitte préfèrent marquer leur singularité par une fascination pour l’imagerie morbide qu’elles immortalisent dans des photographies macabres et la « promesse » de mourir ensemble après l’âge de 16 ans. John Fawcett accompagne ces préoccupations d’une esthétique littéralement « dans son jus » du début des années 2000. La photo de Thom Best baigne dans cette lumière si particulière et automnale d’une certaine province canadienne, et rappelle ainsi l’atmosphère qui fit la spécificité des premières saisons de la série X-Files. Ensuite le mélange de teen movie et d’horreur, la teneur de certains maquillages (l’évolution de la mutation de Ginger) ne sont pas sans évoquer la série Buffy contre les vampires qui vivait alors son âge d’or. Ces éléments datent un peu le film, du moins dans son introduction avant que John Fawcett parvienne à lui conférer une identité propre.L’agression puis la lente transformation de Ginger marque une rupture progressive entre les deux sœurs. L’argument surnaturel est en partie un prétexte, puisque le schisme est annoncé par l’irruption des premières règles de Ginger, sa nouvelle condition (physiologique) de femme en faisant désormais une « proie » pour les hommes, et précédant la première attaque du loup-garou. Le malaise qu’elle ressentait vis-à-vis du regard des garçons devient une attirance qu’elle assume en se montrant désormais entreprenante. Tout le début du film signifiait bien l’ascendant de Ginger dans la fratrie, Brigitte la suivant dans toutes ses lubies. La lente métamorphose en loup-garou est donc une manière pour la cadette d’observer avec dépit l’émancipation de son aînée. La nature de loup-garou représente une peur de grandir, de se séparer de sa sœur mais aussi du sexe pour Brigitte. C’est du moins l’interprétation la plus immédiatement lisible mais le scénario va plus loin. Le changement s’opérant chez Ginger est aussi une manière pour Brigitte de se construire une identité propre en n’aspirant pas à devenir elle-même un loup-garou. Ginger semble en effet sombrer dans ses bas-instincts avec plaisir (faisant de la lycanthropie l'expression du refoulé plutôt qu'une malédiction) et semer la mort quand sa part animale prend le dessus, comme une sorte d’addiction à la drogue, expérience dans laquelle Brigitte ne peut et ne veut la suivre.Le ton de la satire permet d’introduire des questionnements intéressants sur la condition féminine. La mue de Ginger ne semble pas alerter son entourage, notamment une mère qui était bien plus alarmée quand ses filles ne s’inscrivaient pas dans la norme. Ginger avec l’éveil de son cycle menstruel suit donc pour les adultes un cheminement naturel vers le rôle qui lui sera assigné étant désormais attiré par les garçons. La lycanthropie est une manière de pervertir ce schéma « naturel », notamment par la transmission de la malédiction après une morsure ou un rapport sexuel – annonçant le It Follow de David Robert Mitchell (2014). L’argument fantastique est donc un formidable moyen d’exprimer cela, en s’immisçant dans des situations typiques rencontrées entre adolescentes comme la rivalité amoureuse, la peur du regard des autres.John Fawcett ne donne heureusement pas que dans la symbolique et signe un vrai film d’horreur inquiétant, sanglant et émouvant. Des tourments intimes découlent des péripéties crues, les prolongeant par des scènes de mutations furtives ou extravagantes, des mises à mort sauvages. Après s’être montré furtif dans l’exposition du loup-garou, puis avoir davantage travaillé le body-horror pour accompagner la métamorphose de Ginger, John Fawcett dévoile un superbe et intimidant lycanthrope dans le climax. Ne donnant pas dans la démonstration de force façon Le Loup-garou de Londres de John Landis (1980) ou Hurlements de Joe Dante (1981) – et ne bénéficiant de toute façon pas des mêmes budgets – la transformation finale et le look définitif du loup-garou distille le mélange singulier de peur et d’empathie ayant traversé tout le film. Sans l’égaler, nous sommes dans la droite lignée de la catharsis d’un Carrie de Brian De Palma, probable inspiration de ce Ginger Snaps avec ce même entrecroisement entre récit d’apprentissage et fantastique adolescent. Les deux actrices sont formidables, offrant dans leurs natures extraverties (Ginger) et introvertie (Brigitte) les revers d’une même pièce quant aux aspirations, joies et peurs de l’âge ingrat. Le film gagnera ses galons cultes et sera suivi de deux suites en 2004, mais sans John Fawcett.Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo ou disponible en streaming sur MyCanal
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