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mardi 7 mai 2024

L'Épée de Kamui - Kamui no Ken, Rintaro (1985)

Au Japon, au XIXe siècle, durant la période mouvementée du bakufu, sur fond de guerre de Boshin, le jeune Jirô est persécuté pour le soi-disant meurtre de ses parents adoptifs. Un moine le recueille et le forme à son service. Cependant, Jiro découvre que ce dernier le manipule et décide de rompre. Sa fuite va le mener jusqu’aux États-Unis, où il découvre un trésor grâce à des indices laissées par son père. Mais le shogunat souhaite mettre la main sur ledit trésor afin de financer son effort de guerre.

L’Epée de Kamui est un des projets les plus ambitieux produit par le studio Madhouse en ce milieu des années 80. Madhouse, né de la scission d’anciens employés de Mushi Production (studio fondé par le célèbre Osamu Tezuka) va ainsi se faire un nom par l’esthétique et la mise en scène novatrice apportée dans ses séries télévisées avec l’affirmation d’artistes comme Osamu Tezaki et Rintaro. L’essor du long-métrage d’animation à partir de la fin des années 70 va permettre à Madhouse de s’attaquer à des productions qui feront date. Harmagedon (1983) de Rintaro est un impressionnant récit fantastique qui permet entre autres à Katsuhiro Otomo de faire ses premiers pas dans l’animation, Gen d’Hiroshima (1983) adapte le poignant manga de Keiji Nakazawa en en respectant toute la dureté. L’Epée de Kamui s’inscrit dans cette lignée haut de gamme en adaptant le roman de Tetsu Yano publié en 1970.

Le livre est une impressionnante odyssée s’étalant sur près de 20 ans, mêlant récit intime et arrière-plan d’une période cruciale de l’histoire du Japon, le tout sur fond de chasse aux trésors entre l’archipel nippon et les Etats-Unis. C’est principalement là que le bât blesse, par un sentiment de trop plein et de narration souvent trop elliptique où les évènements défilent trop vite, certains personnages ne font que passer et ne sont pas suffisamment caractérisé. Les péripéties et révélations filiales en tous genres s’enchaînent de manière très voire trop soutenue, tout en laissant planer quelques longueurs où l’on se dit qu’une série télévisée aurait été plus appropriée qu’un long-métrage de tout de même 2h10. Passé cet écueil, le brio formel du film emporte le morceau. La direction artistique de Takamura Mukuo fait le choix d’osciller entre reconstitution historique fidèle et stylisation. 

Dès que les sentiments des protagonistes (dont le chara-design sera familier à ceux ayant grandis avec certaines fameuses séries produites par Madhouse comme Rémi sans famille) sont en jeu, la mise en scène prend un tour grandiloquent et abstrait, notamment lors des combats. L’assassinat de la famille du héros Jirô en ouverture, avec ces effets de décadrages et ses couleurs baroques se pose en note d’intention. Tout au long du film, Rintaro traduit par l’animation les codes des chambaras « live les plus outrés (de Zatoichi à Baby Cart), comme les geysers de sang s’étalant au moindre coup de sabre. Le réalisateur façonne cependant une identité propre par l’onirisme appuyé créant une sensation de suspension et de rêverie davantage que de brutalité dans les joutes martiales. Ces effets sont intrinsèquement liés aux émotions des personnages, aux liens qui les unissent mais que parfois ils ignorent encore, comme le trouble ressenti par Jirô au moment d’affronter la ninja « shinobi » Oyuki qui s’avérera être sa sœur. 

Parallèlement à cette flamboyance assumée, le film fait montre d’une certaine rigueur historique. On croise la route de vraies figures de l’histoire du Japon, chaque aventure de Jirô entraîne des conséquences sur les grands évènements qui agitent alors le pays et inversement, avec l’évocation de certains sujets sociaux comme l’exclusion du peuple Aïnou. Il y a une réelle poésie se dégageant de l’inspiration picturale de certains paysages somptueux, une volonté de figer par le réalisme ou la dimension mythologique certaines fresque guerrières dans les décors de Masao Maruyama. 

La Bataille de la baie de Hakodate semble dans les compositions de plan de Rintaro réellement partir des dessins d’époque dépeignant l’affrontement, tout en se montrant plutôt didactique sur les opposants (les forces d’Ezo ancien nom des îles d’Hokkaido contre l’armée impériale du shogunat) et enjeux. Parallèlement, la photo et le choix des couleurs pour certains tableaux belliqueux part aussi d’un choix de mêler le romanesque à la grande Histoire, et d’en donner une interprétation par des vignettes emblématiques.

Tout cela ne se mélange pas toujours bien sur un plan dramaturgique (notamment le passage aux Etats-Unis plus fantaisiste) mais visuellement c’est constamment impressionnant. Yoshiaki Kawajiri, ténor du studio Madhouse et officiant ici en tant qu’animateur-clé, saura s’en souvenir lorsqu’il signera son féroce et inoubliable Ninja Scroll (1994) dans lequel surnaturel et cadre historique formeront un tout plus harmonieux et outrancier.

Disponible en streaming sur Mycanal

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