À Londres, le psychiatre Clive Esmond décide, avec l'accord de la police, d'héberger chez lui pour une durée de six mois, à titre de « travail d'intérêt général », un jeune voyou qui avait tenté de l'agresser dans la rue, Frank Clemmons, afin de l'étudier. L'épouse du docteur, Glenda, d'abord réticente, tombe peu à peu amoureuse de Frank...
La Bête s’éveille est une œuvre importante dans la filmographie de Joseph Losey, puisqu’il s’agit de sa première réalisation sur sa terre d’accueil anglaise à la suite de son exil forcé des Etats-Unis après son inscription sur la liste noire durant le maccarthysme. La situation n’en reste pas moins difficile puisqu’il devra signer le film sous le pseudonyme Victor Hanbury, ainsi que ses deux scénaristes Carl Foreman et Harold Buchman, également blacklistés et crédité sous le pseudonyme unique de Derek Frye. La Bête s’éveille marque aussi la première collaboration de Losey avec l’acteur Dirk Bogarde, partenaire créatif de grandes réussites à venir (The Servant (1963), Pour l’exemple (1964), Modesty Blaise (1966) et Accident (1967).
Triangle amoureux, semi-huis-clos, aliénation mentale, La Bête aveugle pose les jalons de plusieurs motifs de la période anglaise de Joseph Losey, en particulier The Servant et Accident. La frontière entre manipulateur et manipulé, dominant et dominé, apparaît cependant plus floue ici. La scène d’ouverture marque symboliquement cette interaction entre le psychiatre Clive Esmond (Alexander Knox) et le voyou Frank Clemmons (Dirk Bogarde), lorsque le premier maîtrise physiquement le second qui tente de l’agresser en pleine rue. Dès lors quand l’expérience de psychanalyse s’amorce avec l’hébergement de Frank chez Clive, cet ascendant se ressent naturellement dans la mise en scène et les situations. Frank ne renonçant pas complètement à ses anciennes habitudes criminelles, il s’y adonne en cachette en quittant la maison de nuit comme un adolescent ferait le mur. Il y a aussi un rapport de force qui s’établit lors des scènes de psychanalyse où Clive déstabilise Frank par ses questions insistantes sur sa famille. Frank, séduisant, charismatique et intimidant pour tous ces autres interlocuteurs fait figure d’enfant face à la patience sans faille de Clide, notamment vers la fin quand il est confronté par la police et défendu par Clide qui le sait coupable. La composition de plan met en avant Clide, stoïque et droit, prêt à mentir sans sourciller pour défendre son « enfant » tandis qu’en arrière-plan le visage penaud de Frank se déforme de honte et d’émotion. C’est après cette séquence qu’il entame réellement sa guérison et se livrera.Tout est cependant question d’équilibre puisque l’acuité de Clide envers son patient n’opère pas face à la dérive de son épouse Glenda (Alexis Smith), troublée par la présence de Frank. Clide expose plusieurs fois une théorie selon laquelle en chacun dort un tigre abritant nos pulsions les plus primaires, et alors que l’on pense longtemps que la question concerne Frank, c’est finalement la faussement glaciale Glenda qui va perdre pied. Losey reste encore relativement sage en comparaison du trouble érotique qui irriguera des situations voisines dans The Servant, mais l’interprétation remarquable parvient à distiller ce malaise. Alexander Knox parait aussi humaniste que robotique dans son professionnalisme obsessionnel et la dévotion à son patient, ne voyant pas les soubresauts agitant son foyer. Dirk Bogarde brille dans son registre fréquent de l’époque, fissurant sa prestance de jeune premier par une fébrilité croissante. Mais la vraie surprise vient de la prestation torturée de Alexis Smith dont le personnage (malgré quelques clichés machistes d’époque avec ce baiser forcé qui la fait céder à Frank) se laisse happer jusqu’à la folie par ses fêlures jusqu’à un climax incroyablement cathartique qui n’est pas sans rappeler celui d’Un si doux visage d’Otto Preminger. Une œuvre qui pose les jalons de la grandeur à venir de la période anglaise de Losey.Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal
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