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lundi 20 novembre 2023

Pour l'exemple - King and Country, Joseph Losey (1964)


 En 1917, dans les tranchées britanniques de Passchendaele, un soldat de l'armée anglaise, Arthur Hamp, est accusé de désertion après s'être rendu à l'arrière du front pour rentrer chez lui. Lors de son procès militaire, il est défendu par le capitaine Hargreaves. Ce dernier va tout faire pour tenter de sauver la vie de Hamp, qui s'était porté volontaire au début de la guerre et est l'unique survivant de sa compagnie. Lorsqu'on lui demande la raison de sa désertion, il explique simplement avoir décidé de faire une promenade en marchant à pied jusqu'à son domicile à Londres.

Pour l’exemple est l’autre grand film après Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick (1957) à dépeindre une autre terrible injustice judiciaire et militaire durant la Première Guerre Mondiale. Si Kubrick se basait sur des faits réels, Losey adapte lui la pièce Hamp de John Wilson, elle-même tirée du roman Return to the Wood de James Lansdale Hodson publié en 1955. Autre comparaison avec Les Sentiers de la gloire, la première partie du film dépeint les évènements qui précèdent et conduiront à l’exécution finale injuste alors que Losey conserve le huis-clos de la pièce tout en échappant au théâtre filmé.

Le drame antérieur fonctionne de façon évocatrice et humaniste, par le seul prisme de la vulnérabilité du malheureux accusé, le soldat Arthur Hamp (Tom Courtenay). Ce dernier, arrivé au bout de ses ressources physiques et psychiques avait tout simplement entamé une marche erratique loin de sa garnison après avoir une fois de plus échappé à la mort. Ne comprenant pas le profond désespoir de l’acte, l’administration militaire engage un procès pour désertion susceptible d’aboutir à l’exécution de Hamp. L’atmosphère morbide s’instaure dès les premiers instants où défilent des images fixes de monuments guerriers puis du front, des visions de désolation faites d’étendues grisâtres et boueuses jonchées de cadavres. Un terrible fondu enchaîné passe d’un corps décomposé et son visage squelettique à celui de Hamp, le marquant d’emblée du sceau de la fatalité. 

Joseph Losey passe par plusieurs biais, à la fois pour expliquer le geste désespéré de Hamp mais aussi nous faire comprendre le contexte qui guidera la sentence cruelle qu’il subira. Le clivage de classe au cœur de la société anglaise est sur ce front de guerre guidé par l’hypocrisie des gradés et nantis n’ayant guère l’occasion de goûter à l’épreuve du feu. Eux qui sont mobilisé depuis bien moins que les trois ans d’enfer de Hamp, sont à cheval sur le sens de l’honneur et du drapeau, et le geste du déserteur paraît une infamie lâche dans la grande tradition britannique conquérante et fantasmée de Les Quatre plumes blanches notamment dans la version de Zoltan Korda de 1940). Ce clivage de classe va notamment se jouer entre Hamp et Le capitaine Charles Hargreaves (Dirk Bogarde) en charge de sa défense au procès. Condescendant et détaché avant de rencontrer l’accusé, Hargreaves va peu à peu compatir face à la naïveté de Hamp et ses douloureuses confidences. Pourtant de leur première à leur dernière rencontre, il ne se départira pas de sa supériorité de grade et surtout de classe envers Hamp, ce qui implicitement ôtera la conviction nécessaire à sa pourtant belle plaidoirie.

Sans goutter directement à la guerre, l’environnement se fait hostile et oppressant dans cette garnison. Losey alterne entre une mise en scène immersive observant les troufions dévitalisés vaquant à leurs tâches, et les plongées scrutant les silhouettes anonymes pataugeant dans la boue. Il y cette même dualité entre le relatif confort de la salle des officiers, s’affairant aux futurs manœuvres sanglantes auxquelles ils ne participeront pas directement, et la grange humide où croupit Hamp. La photo de Denys Coop plonge la silhouette frêle du malheureux dans la pénombre de ce lieu insalubre, où il conserve seul sa dignité face à des visiteurs symbole de la faillite du système : ses camarades le temps d’une beuverie sinistre, un prêtre venu l’absoudre d’on ne sait quoi et Hargreaves rongé par la culpabilité. Hamp en tant « qu’inférieur » ayant eu un comportement digne de sa classe, doit par son exécution servir d’exemple pour galvaniser d’autres soldats promis à un massacre qu’il cherchait à fuir. Une œuvre cinglante dont le minimalisme offre un complément davantage qu’une redite de Les Sentiers de la gloire.

Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal

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