Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 4 novembre 2023

The Dream Songs - Cho Hyun-chul (2023)


 C’est le printemps, la veille d’une sortie scolaire. Semi voit la mort de Haeun en rêve. Quelques jours plus tôt, l’adolescente s’est cassé la jambe dans un accident de vélo. Semi tente alors de convaincre sa meilleure amie de l’accompagner en voyage de classe malgré son plâtre. Les deux jeunes filles vont passer une dernière journée ensemble avant le grand départ.

The Dream Songs est le premier long-métrage de Cho Hyun-chul, jusqu’ici davantage connu pour son activité de comédien dans les films The First Lap (2017) et Malmoe : The Secret Mission (2019) ou encore la série Netflix Deserter Pursuit. Ce galop d’essai s’avère une réussite aussi prometteuse que bouleversante. Avant même d’avoir révélé ses premières images, The Dream Songs s’ouvre sur un panneau rappelant aux coréens l’un des plus sinistres drames locaux de la dernière décennie, le naufrage du ferry Sewol s’étant déroulé le 16 avril 2014. Suite à une avarie et différentes failles humaines avant, pendant et après le naufrage, le Sewol s’enfonça dans la Mer jaune ne laissant que 172 survivants sur ses 476 passagers. Parmi les victimes on trouvait une majorité de lycéens en voyage scolaire à destination de l'île de Jeju, ce qui renforça encore la portée du drame avec cette jeunesse sacrifiée et des familles meurtries.

Passé cette introduction, The Dream Songs semble avancer vers des préoccupations plus légères, mais tout le récit dans son esthétique et sa tonalité porte le sceau de ce drame. On va comprendre rapidement que le lien à la catastrophe nous a été annoncé à rebours, la veille de l’évènement. Révéler ce lien à la fin du film aurait constitué un brutal retour sur terre (encore que l’on peut imaginer que les spectateurs coréens le connaissaient avant de voir le film) et peut-être un sentiment de manipulation, en être prévenu en amont confère une profondeur supplémentaire à tout ce que nous allons voir. La veille du voyage scolaire, la jeune Semi (Do-eun Lee) est tourmentée par un rêve dans lequel elle a vu son amie Haeun (Hye-soo Park) morte. Cette dernière récemment victime d’un accident de vélo a la jambe cassée et ne semble pas pouvoir participer au voyage. Semi, dont on va vite comprendre qu’elle nourrit un sentiment amoureux et possessif envers son amie, désespère de la laisser seule, voir le rêve se concrétiser et ne pas la trouver à son retour. Elle va donc au cours de cette dernière journée tenter de la convaincre de venir malgré tout au voyage.

Cho Hyun-chul déploie subtilement plusieurs couches formelles et narratives quant aux enjeux du récit. Cette dernière journée avant le départ est un instantané d’émotions juvéniles à fleur de peau où les amies vont se rapprocher, se séparer, se réconcilier dans une confusion constante. L’insistance de Semi à vouloir la participation coûte que coûte de Haeun au voyage répond à l’angoisse de ce rêve possiblement prémonitoire. C’est aussi une peur du rejet alors qu’elle songe à avouer ses sentiments, et la possibilité que Haeun cède aux faveurs d’un garçon. Les deux adolescentes déploient avec tumulte et candeur tout ce qu’il peut y avoir de plus inconséquent et passionné dans ce type d’amitié fusionnelle où se niche peut-être une affection plus profonde. Cela confère au récit un sentiment mêlé de gravité et de légèreté, mais surtout d’éphémère dans le grand cas que tout adolescent peut se faire d’un premier amour.

C’est là que le spectre du drame en germe plane, puisqu’à l’immédiateté du présent et des réactions à vif des héroïnes (dont une sidérante scène de karaoké) répond une imagerie cotonneuse dans laquelle les teintes du rêve se disputent à celle du souvenir, de la nostalgie. La photo diaphane impose une atmosphère de spleen vaporeux qui est presque en opposition à l’urgence que ressentent Semi et Haeun de se trouver, de résoudre le trouble et l’ambiguïté de leur relation. Cho Hyun-chul semble avoir magnifiquement digéré les influences de plusieurs classiques du mélo adolescent des années 90 et 2000. Cette ambiance flottante où les souvenirs d’émois amoureux volatiles trouvent une profondeur dans les drames intimes et collectifs qui s’y profilent rappellent notamment le Love Letter de Shunji Iwai (1995), mais aussi Virgin Suicides de Sofia Coppola et Elephant de Gus Van Sant (2003). 

Par son côté ardent et immédiat reposant sur l’intensité et l’alchimie de ses personnages, The Dream Songs garde pourtant une connexion réaliste et poétique au monde qui l’entoure, le marivaudage étouffé évoquant Hana et Alice de Shunji Iwai (2004) tandis que les pérégrinations urbaines (et la découverte de l’attrait exercé sur les hommes adultes) rappelleront grandement le superbe Bounce Kogals de Masato Harada (1997) - les scènes scolaires très sensorielles ne sont pas non plus sans rappeler Liz et l'oiseau bleu de Naoko Yamada (2019). Le réalisateur manie dans un équilibre délicat les non-dits concrets forçant les personnages à se découvrir et se dévoiler dans un véritable jeu de piste, et les non-dits existentiels qui rendent cette mise à nu nécessaire, comme si/parce que le temps était compté et précieux.

Certaines péripéties en trouvent ainsi une grande profondeur comme lorsque Semi et Haeung vont aider une femme à chercher son chien disparu. La réaction touchante et expansive de cette dernière lors des retrouvailles avec son compagnon canidé exprime en creux la force du lien affectif et la douleur d’une séparation, quand bien même cela pourrait paraître futile d’un point de vue extérieur cynique (que ce soient les amours adolescentes ou l’affection pour un animal). Une fois de plus Cho Hyun-chul excelle à mêler le sentiment de ce qui « est » dans les interactions de ses personnages, et le ressenti de ce qui « sera » dans l’onirisme de ses images de plus en plus gagnées par la symbolique morbide. Les deux facettes s’équilibrent brillamment lorsque la scène de rêve (jusque-là verbalisée sans avoir été vue) s’entremêle à la confession amoureuse tant attendue, et nous perd dans les niveaux de réalité et de temporalité où la voix-off et la métaphore prémonitoire se mélangent au flashforward bouleversant.

Après l’avoir distillé en filigrane, Cho Hyun-chul rattache la tragédie collective en germe au destin de ses personnages, rendant d’autant plus poignantes les dernières minutes où leurs cœurs se sont ouverts l’un à l’autre. Le réalisateur signe un mélodrame envoutant, retenu et inventif dans la gamme d’émotion qu’il parvient à nous faire traverser. Prometteur pour la suite. 

Vu dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris


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