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vendredi 10 novembre 2023

Tout près de Satan - Ten Seconds to Hell, Robert Aldrich (1959)

Berlin, fin de la Seconde Guerre Mondiale. Six anciens soldats allemands s'engagent dans une périlleuse mission de déminage. Au milieu d'une ville en ruines, ils doivent désamorcer des dizaines de bombes. Le danger est permanent et tous ne sortiront pas vivants.

Tout près de Satan est une œuvre se situant à un moment de creux au sein de la filmographie de Robert Aldrich, entre les chefs d’œuvres Attaque (1956) et Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (1962). C’est un très relatif creux artistique, mais surtout commercial, en grande partie dû aux bisbilles du réalisateur avec ses producteurs (sur Racket dans la couture (1956) terminé par Vincent Sherman) ou ses acteurs stars comme avec El Perdido (1961) en grande partie repris en main par Kirk Douglas. Tout près de Satan souffre d’une même gestation compliquée, entre la mésentente d’Aldrich avec Jack Palance pour ce qui est pourtant leur troisième collaboration, et un montage qui lui échappera. Le film demeure malgré tout une pure œuvre de Robert Aldrich, et ce pour le meilleur.

Il s’agit d’une adaptation du roman The Phoenix de Lawrence P. Bachmann publié en 1955. Aldrich accepte le projet après la période d’inactivité qui suit l’expérience mitigée de Racket dans la couture et s’engage dans une production américano-britannique complexe, sur les lieux même de l’action entre studios de Babelsberg en RFA et les extérieurs de Berlin-Est en RDA. Le postulat offre une variation de plusieurs œuvres passées et à venir de Robert Aldrich. Le groupe de personnage engagés dans une mission « suicide » anticipe par exemple Les Douze salopards (1967). Ces collectifs incarnent un ensemble de travers humains dont la dynamique tire vers une animalité qui domptée peut tirer le groupe vers le haut dans Les Douze salopards, ou le faire éclater après une unité initiale avec Tout près de Satan. Le film de 1967 voit ce collectif voir dans sa mission une seconde chance, quand Tout près de Satan a quelque chose de désabusé à travers ses protagonistes survivants plus que vivants après avoir tout perdu, et n’attendant plus rien de l’existence. C’est ce détachement qui guide le pacte fatal qu’ils nouent alors qu’ils arrivent à Berlin en mission de déminage, celui de mettre de côté une partie de leurs gains que se partageront ceux qui en réchapperont possiblement.

Une des raisons des frictions entre Aldrich et Jack Palance viendra du fait que le réalisateur a retouché le script initial pour l’emmener vers quelque chose de trop « philosophique » et intellectualisant pour l’acteur. Malgré l’alchimie avec Martin Carol, la romance de son personnage avec celui de Palance aura légèrement à souffrir du montage de 94 minutes au lieu des deux heures envisagées par Aldrich. En revanche la dualité représentée par les deux démineurs Wirtz (Jeff Chandler) et Koertner (Jack Palance) s’inscrit dans la continuité de films antérieurs d’Aldrich.  Le réalisateur déploie dans plusieurs films l’opposition de protagonistes vertueux, sacrificiels et presque suicidaires face à des cyniques, couards et ambitieux pour lesquels la fin justifie les moyens. Sous le détachement et certains aspects rigolards, Aldrich célèbre les héros sachant tourner le dos à la tentation du détachement et la déshumanisation pour privilégier les valeurs humaines, quoiqu’il en coûte. 

C’est le Gary Cooper se délestant de son habit de mercenaire face au cupide Burt Lancaster dans Vera Cruz (1954), mais c’est surtout justement Jack Palance en officier ou artiste martyr dans Attaque et Le Grand Couteau (1955). Le passé meurtri de Koertner s’incarne dans les ruines même de Berlin puisque ce sont en partie ses travaux passé d’architecte qui ont été détruit par la guerre. Réfractaire au régime nazi, il a survécu à un conflit traversé en trompant la mort en tant que démineur, et sa seule accroche à la vie est de survivre avec ses compagnons. Wirtz est au contraire un égoïste détaché pensant avoir survécu grâce à son individualisme forcené. Le film devient ainsi peu à peu un pur affrontement idéologique où l’idéalisme désespéré de Koertner se doit de triompher du cynisme de Wirtz. C’est vraiment le cœur émotionnel autant que philosophique du récit, auquel Aldrich greffe une tension de tous les instants.

La dimension documentaire de Tout près de Satan vient de son tournage dans les véritables ruines d’un Berlin pas encore totalement reconstruit, mais aussi pas complètement déminé. L’expérience du démineur Gerhard Rabiger fut l’inspiration du roman, et ce dernier sera consultant sur le film afin d’inculquer au plus près la gestuelle méticuleuse de son métier aux acteurs. Mieux, il sera parfois amené à quitter le tournage pour aller déminer quelques bombes restantes encore dans Berlin. Dès lors les scènes concernées font montre d’une tension suffocante travaillant la dilatation du temps, un jeu schizophrène pour le spectateur jouant sur l’attente, la crainte et le refus de la potentielle explosion une fois attaché aux personnages. Les situations sont variées, s’appuyant sur le fil rouge autour de bombes anglaises dangereuses car fonctionnant sur un double minutage, mais aussi sur les environnements périlleux d’une urbanité berlinoise dévastée et où le danger peut venir autant de l’engin explosif que d’un environnement fragilisé et traitre – on peut se demander si le film fut une inspiration pour le Démineurs de Kathryn Bigelow (2009). 

La dernière scène est particulièrement haletante à se titre, se déployant sur une pure logique de suspense tout en étant le pinacle du duel idéologique et humain entre Wirtz et Koertner, la veulerie de l’un se brisant face au mur de l’inébranlable empathie de l’autre. Malgré sa durée raccourcie par ses producteurs ainsi que ses déclamations envahissantes en voix-off (lors de l’ouverture et de l’épilogue), Tout près de Satan est une superbe réussite d’Aldrich ne méritant d’être dans l’ombre de ses chefs d’œuvres. 

Sorti en bluray français chez Rimini

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