Femme au foyer, Yasuko Honda vit avec son mari et son fils dans un grand immeuble d’un quartier résidentiel. Régulièrement harcelée par les démarcheurs et les canulars téléphoniques, la jeune femme, excédée, finit par claquer la porte sur les doigts d’un vendeur. Choqué, celui-ci refuse d’en rester là. Sa vengeance se mue bientôt en véritable obsession…
Door est un bel avatar du home invasion, sous-genre du thriller fonctionnant sur l'intrusion d'une menace extérieure dans l'espace domestique. La singularité de Door réside dans la manière d'adapter cet argument aux spécificités sociales et justement domestiques japonaises. Le quotidien familial de l'héroïne Yasuko (Keiko Takahashi) correspond ainsi à une triste réalité de la famille moyenne japonaise. Mariée à un homme (Shirô Shimomoto) officiant dans le secteur informatique (en pleine bulle économique japonaise), elle est une femme au foyer dont les journées se répètent dans leurs monotonies, entre tâches domestiques et l'attention apportée à Takuko son jeune fils encore à la maternelle. La première partie appuie sur les éléments qui rendent ce quotidien si terne, Yasuko étant inconsciente de certains (son époux se moquant gentiment de sa maniaquerie pour la propreté, l'ennui appelant l'attention plus grande sur ces aspects) et d'autres dont elle souffre comme une certaine frustration sexuelle. C'est un cliché certes mais reposant sur une réalité (le taux de natalité en berne du pays en témoigne) qu'une fois mariés, la vie intime des couples japonais est en berne, que ce soit à cause de l'attention tout entière consacré à l'enfant ou encore les rythmes de travail harassant des salarymen en faisant des êtres de passage dans leur foyer. Banmei Takahashi concentre tous ces lieux communs dans une scène emblématique où Yasuko extrait le jeune Takuko endormi du lit conjugal pour le coucher dans sa chambre, et sollicite ensuite l'attention sexuelle de son mari trop épuisé pour réagir.Les nombreux démarcheurs téléphoniques et porte à porte sont des parasites venant imperceptiblement troubler cette vie huilée et ennuyeuse, au point de finir par mettre mal à l'aise Yasuko qui va avoir une attitude sans doute trop vindicative envers l'un d'entre eux (Daijirô Tsutsumi) en lui claquant la porte sur les doigts. Dès lors le vendeur va dans un premier temps chercher à se venger, avant de nourrir un désir et une obsession menaçante pour Yasuko. Là encore Banmei Takahashi imprègne son récit d'une terreur urbaine très spécifiquement japonaise (même si pas unique à ce pays bien sûr), celle du stalker épiant ses victimes féminines et s'immisçant secrètement dans leur vie avant de les agresser. La réaction "excessive" de Yasuko est implicitement inhérente à cette réalité pour les femmes japonaises, mais notre héroïne va paradoxalement "créer" son stalker en malmenant ainsi son physique et son orgueil. Le réalisateur façonne ainsi progressivement un espace mental entre l'attrait et le refoulé représenté par la porte de l'appartement familial. Le harcèlement du stalker instaure des péripéties fonctionnant sur la torture psychologique (les appels incessants dès que Yasuko est seule), une atmosphère paranoïaque par sa mise en scène où la caméra adopte un point de vue subjectif dans la réalité et les rêves de Yasuko. Paradoxalement, notre héroïne jusque-là éteinte retrouve une forme de grâce, de féminité et séduction qui questionne le spectateur. Ce sentiment est-il dû au fait d'adopter le point de vue du stalker, ou correspond-il aussi au ressenti de Yaskuko pour qui, toute sordide soit-elle, la situation permet de retrouver un semblant d'attention ? Cette réminiscence de la voix du stalker disant à Yasuko qu'elle est belle correspond-elle aux pensées du traqueur ou de la traquée ?
Le réalisateur excelle à nous placer dans ce doute très inconfortable, le tout en restant dans une tonalité très feutrée. Alors que le postulat permettrait son lot d'excès et d'effet baroque, la sobriété de l'ensemble décuple paradoxalement l'inquiétude inscrite dans la banalité de l'espace urbain typiquement japonais, la disposition et le mobilier de l'appartement. Banmei Takahashi, qui débuta dans le cinéma érotique, parvient à distiller le trouble de cette tension érotique par une retenue magistrale. La dernière partie cède cependant plus concrètement au home invasion, mais à l'aune de l'ensemble du dispositif patiemment déployé. La porte de l'appartement était la barrière à la fois de l'attrait et du refoulé, et c'est précisément ces deux volontés contradictoires qui vont s'affronter quand le stalker va pénétrer l'espace domestique. Jouant avec le petit Takuko et participant au dîner, il prend littéralement la place du père éternel absent. Lorsqu'il s'introduit dans la maison et malmène Yasuko en l'emmenant dans la chambre, celle-ci s'affale/s'offre comme évanouie sur le lit conjugal. Si l'intention du stalker est évidente (la violer), Yasuko semble presque devancer le geste de son agresseur. C'est la présence du fils qui ravive la protection du refoulé en préservant la cellule familiale, et entraîne le chaos final et un affrontement particulièrement sanglant. Il a fallu en passer par là pour que Yasuko retrouve la rage et l'instinct de survie que l'absence (le mari) ou la présence non désirée (l'agresseur) d'un homme avaient éteints. Le symbole de ses peurs va donc subir une douloureuse entreprise de destruction (tous les dommages physiques sont infligés à l'agresseur finissant en lambeaux) et tous les stigmates de son quotidien ennuyeux de femme au foyer deviennent des armes redoutables (ustensiles de cuisine, vase, meuble). Mieux, l'espace de l'appartement qu'elle connaît si bien va incarner le piège dans lequel elle va enserrer le stalker lors d'une poursuite où Banmei Takahashi ose enfin la virtuosité heurtée dans un travelling en plongée nous promenant de pièce en pièce.Les traits juvéniles et les manières étonnamment douces de l'agresseur trahissent une profonde détresse qui rendent le personnage pitoyable malgré ses actes, et peut-être pas le pire avatar des stalker gravitant autour de Yasuko. En effet la première partie du film laisse sous-entendre que certains des actes les plus vulgaires et répugnants ne sont sans doute pas de son fait, mais d'un autre pas (encore ?) passé à l'acte. La dernière scène ambiguë achève de nous signifier la folie ambiante, toutes les peurs étant désormais imaginables à partir d'une simple sonnerie de porte. Keiko Takahashi (épouse du réalisateur) apporte toute l'opacité et la vulnérabilité nécessaire à faire de Door un grand thriller à tiroirs. Banmei Takahashi en tournera une suite, Door 2 en 1991, réputée réussie également.
Sorti en bluray anglais (zone free) et doté de sous-titres anglais chez Third Windows dans un coffret contenant le film et sa suite
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