Marie 1 et Marie 2 s’ennuient fermement. Leur occupation favorite consiste à se faire inviter au restaurant par des hommes d’âge mûr, puis à les éconduire prestement. Fatiguées de trouver le monde vide de sens, elles décident de jouer le jeu à fond, semant désordres et scandales, crescendo, dans des lieux publics.
Les Petites marguerites est certainement une des œuvres emblématiques de la Nouvelle Vague tchèque, notamment par le destin du film et de sa réalisatrice. Le film subit dès sa sortie les foudres de la censure et est interdit, tandis que la fin du Printemps de Prague scelle la parenthèse libertaire et va condamner Vera Chytilová à de longue années sans tourner. Celle-ci souhaitant protester et témoigner sur place des évènements de son pays, ne bénéficiera pas du rebond d’un Milos Forman ou Ivan Passer ayant fait le choix de l’exil.
Les audaces de Les Petites marguerites reposent autant sur le fond que la forme. Renonçant à la dominante esthétique plutôt austère de la Nouvelle Vague tchèque, Vera Chytilová fait le choix d’un film bariolé, expérimental, exubérant et imprévisible dans sa progression. On y ressent autant l’influence d’un Godard que celle des collages pop de Andy Warhol, une sensibilité européenne et un faste anglo-saxon. Inserts abstraits et évocateurs, colorimétrie changeante, transitions déroutantes et montage audacieux, tous les effets sont au service d’un récit volontairement non-linéaire propre à servir l’état d’esprit anticonformiste de ses héroïnes, la blonde Marie 1 (Ivana Karbanova) et la brune Marie 2 (Jitka Cerhova).Notre duo trompe l’ennui en défiant les bonnes mœurs sous toutes leurs formes. Ce sera notamment par la séduction d’hommes mûrs dont elles vont profiter des largesses au restaurant, avant de les éconduire sans que ses derniers n’obtiennent la « récompense » espérée. Le film notamment lors de ces scènes de séduction, a une tonalité très ludique avant que l’effet de répétition révèle une forme de vacuité, de mélancolie qui peut se deviner dans les larmes (pas toujours) feintes des héroïnes avant de se débarrasser de leurs courtisans à la gare. Le jeu de massacre est souvent jubilatoire comme cette séquence où les filles sèment la zizanie dans un dancing, mais peu à peu leur décalage avec le monde qui les entoure trahit autant un manque de repères qu’une rébellion. Au dédain volontaire qu’elles ont face aux hommes mûrs libidineux répond l’indifférence suscitée par des quidams se rendant à leur vacation (et se dirigeant symboliquement dans la direction inverse de la leur), ou encore leur manière de presque dénigrer les petites mains des lieux qu’elles traversent comme les « dames pipi » dont elles volent parfois la recette. Le monde intérieur des « Marie » oscille entre leur appartement, des espaces ruraux stylisés, des décors urbains désert qui les figent dans une espace onirique tandis que le contact avec le réel souligne à quel point elles n’y ont pas leur place. Elles glissent de lieux en lieux dans une idée de pure liberté, mais également d’errance sans but.Il y a une forme d’effronterie et de culpabilité dans leur attitude, appuyée par la manière tantôt chargée de défi, tantôt de dépit, de se qualifier elles-mêmes de « dépravées ». Cela culmine dans la séquence finale où l’outrage culmine dans une orgie et gaspillage alimentaire dont elles jubilent, avant de presque s’en excuser en essayant de recoller la vaisselle brisée par leur carnage. Vera Chytilová parvient par ces ruptures de ton à capturer l’inconséquence de la jeunesse, faite de joies superficielles et irrépressibles tout comme de spleen insondable. C’est une photographie bariolée de l’équilibre fragile du Printemps de Prague dont les derniers feux brillaient alors.Sorti en dvd zone 2 français chez Malavida
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