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lundi 12 août 2024

Brûle, sorcière, brûle ! - Night of the Eagle, Sidney Hayers (1962)


 Norman Taylor, un jeune professeur, est promis à un bel avenir attisant les jalousies dans son université. Après la découverte de plusieurs porte-bonheurs dans la maison, Norman interroge sa femme Tansy qui lui avoue pratiquer des activités paranormales.

Night of the Eagle est à la fois en continuité et précurseur d’un certain courant du cinéma fantastique des années 60, à travers des sujets évoquant la sorcellerie et la magie noire. La continuité, c’est le titre anglais du film (exploité aux Etats-Unis sous le titre Burn, Witch, Burn) assumant de s’inscrire dans le sillage du fondateur Rendez-vous avec la peur/Night of the Demon de Jacques Tourneur (1957). Night of the Eagle anticipe cependant ce courant satanique affirmé par Rosemary’s Baby de Roman Polanski (1968) et qui suscitera une vraie déferlante dans le cinéma anglais avec notamment Les Sorcières de Cyril Frankel (1966), Les Vierges de Satan de Terence Fisher (1968). Le film naît de la volonté de ses deux fameux scénaristes, Richard Matheson et Charles Beaumont, de travailler ensemble. Chacun était admiratif du travail de l’autre lors de leur contribution à la célèbre série La Quatrième Dimension, et ils vont jeter leur dévolu sur une adaptation du roman Conjure Wife de Fritz Lieber (publié en France sous le titre Ballet de sorcière) pour développer une collaboration commune. 

Tout comme dans Les Sorcières et Les Vierges de Satan, la sorcellerie est un élément perturbateur sous le vernis conventionnel d’une certaine Angleterre provinciale bourgeoise. La noirceur de cet environnement par le prisme de la magie noire se révèle tout d’abord par les rapports humains troubles sous l’amicalité des apparences. Norman Taylor (Peter Wyngarde) est un professeur d’université à tout réussit personnellement et professionnellement, marié à la charmante Tansy (Janet Blair) et en passe d’obtenir une nouvelle chaire convoitée. Une réussite qui lui vaut l’hostilité explicite ou la dévotion suspecte de certains élèves, ainsi que la jalousie secrète de ses « amis » et collègues.

Le personnage, sous son charisme et ses airs avenants et subtilement introduit sous un jour plus ambigu. Un certain narcissisme et plaisir d’être admiré se ressent dans son rapport à Margaret (Judith Stott), une élève énamourée, dans sa manière distraite d’ignorer son épouse de retour au foyer, et de se gargariser des compliments de ses pairs durant une partie de bridge. La scène d’ouverture le voyant expliquer à sa classe l’absurdité de toute forme de croyance primaire et autre superstition, est une manière d’affirmer que sa propre réussite n’est dû qu’à son talents, travail et excellence. Le monde qui l’entoure n’existe que pour mettre en valeur les aptitudes et une réussite qu’il ne doit qu’à lui seul.

L’argument fantastique est donc là pour mettre à mal cet égo, le mettre à l’épreuve de la fatalité. Ainsi caractérisé, la réaction de profond rejet exprimé par Norman en découvrant les sorts jetés par sa femme pour créer sa réussite est totalement logique. Au-delà du cartésianisme, la contribution occulte de Tansy à son ascension est une insulte à l’image qu’il se fait de lui-même. En brûlant tous les colifichets magiques de Tansy, Norman sème implicitement le doute dans sa haute opinion de lui-même. Sidney Hayers, réalisateur versant habituellement peu dans le fantastique (hormis Le Cirque des horreurs (1960)), disloque le quotidien de son héros de manière subtile. L’imagerie domestique paisible cède soudain aux éclairages plus menaçants, aux atmosphères baroques et à une mise en scène se focalisant sur des éléments inoffensifs (un téléphone) ou significatifs (cette statuette sans doute issue du séjour jamaïcains du couple). Ces petites touches nous préparent à la vraie bascule des évènements, les éléments troubles de l’entourage de Norman évoqués plus haut devenant de vraies menaces qui vont fragmenter son assurance

Sidney Hayers joue donc certes sur la nature horrifique de son récit, mais touche vraiment dans sa dimension introspective en plongeant au cœur de cette relation de couple. C’est quand le réalisateur tient l’équilibre entre cette touche intime et l’inquiétante étrangeté que le film atteint des sommets, telle cette cavalcade sur une plage, puis le montage alterné entre le possible sacrifice de Tansy et Norman abandonnant ses certitudes pour la sauver. Il y a d’ailleurs un effet miroir dans la révélation finale posant la face sombre et nuisible de cette jalousie sociale, de cette dévotion de couple quand se dévoilera l’antagoniste. Sidney Hayers tout en travaillant toujours cette tonalité psychologique, lâche les chevaux dans l’imagerie extravagante qui anticipe d’ailleurs les visions les plus folles de Les Vierges de Satan avec les assauts terrifiants de cet aigle. Night of the Eagle est donc une belle réussite, entremêlant à merveille une approche psychologique et fantastique de façon touchante, notamment grâce à la prestation fragile de Janet Blair.     

Sorti en bluray français chez StudioCanal

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