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samedi 21 septembre 2024

Look Back - Rukku Bakku, Kiyotaka Oshiyama (2024)


 Fujino est une adolescente qui dessine des mangas pour le journal de l'école. Son art fait d'elle la star de sa classe mais un jour, elle apprend que Kyomoto, une élève qui refuse de venir à l'école, aimerait-elle aussi soumettre un manga pour le journal...

L’’univers excentrique et déjanté du mangak Tatsuki Fujimoto, révélé avec le très torturé Fire Punch, avait connu un saisissant gain de popularité avec le succès de l’incroyable Chainsaw Man (et de la récente série animée qui l’adaptait) qui électrisa la ligne éditoriale du Weeky Shonen Jump. Sous la rage punk de ces titres, on distinguait néanmoins chez l’auteur une fibre plus sensible, une tendresse pour ses personnages marginaux et asociaux auxquels il s’identifiait. C’est cette facette que l’auteur choisirait de mettre en avant dans Look Back, superbe récit intimiste qui rencontra un grand succès public et critique lors de sa parution numérique initiale au Japon – le titre étant disponible en France chez Crunchyroll.

Si les excès et l’outrance de Fire Punch et Chainsaw Man constituaient une sorte de filtre à la part très certainement biographique qu’y insérait Fujimoto, Look Back se déleste en partie de ces artifices. La pudeur principale qu’y manifeste le mangaka est de faire des protagonistes des adolescentes, mais leur amitié, passion commune et ambition autour du manga ne laisse guère place au doute quant à l’inspiration réelle du récit, même s’il y a sans doute une grande part de fiction. Cette adaptation signée Kiyokata Okayama est très fidèle, parvenant à en tirer la substantifique moëlle tout en s’en affranchissant subtilement. L’ennui, le rêve et l’amitié adolescente convergent dans la relation unissant l’expansive Fujino à l’introvertie Kyomoto. Le rapport chaleureux au monde de Fujino se ressent dans la manière d’en faire une attraction au sein de la classe, rieuse et légèrement orgueilleuse face à l’admiration que suscitent ses premiers essais de mangaka. Son art graphiquement encore maladroit est néanmoins tourné vers les autres par le choix de faire dans le gag manga, propice à susciter les rires de l’entourage. Kyomoto est une hikikomori isolée du monde, dans l’incapacité émotionnelle de se rendre à l’école. Le récit en fait initialement une absente n’existant que par ses participations au journal du collège, sa peur de la communauté se matérialisant par une maîtrise graphique, et notamment des décors, née d’un sens de l’observation développée par cette mise à l’écart.

Le réalisateur travaille cette caractérisation des héroïnes par ce rapport au monde ou son absence, notamment en mettant véritablement en scène leurs créations respectives. Il amène ainsi une dimension plus vivante, virevoltante et organique introduite par l’énergie des œuvres de chacune. A cela s’ajoute une grande fidélité non seulement au trait, mais aux cases de Fujimoto. Quand un loisir, une passion, devient peu à peu une vocation, c’est une manière de se mettre malgré soi de côté. Titillée par le trait parfait de sa « rivale » invisible, Fujino perfectionne son trait jusqu’à l’obsession, ce que Oshiyama exprime en reprenant la case/composition de plan répétitive montrant la dessinatrice en herbe de dos, penchée sur son ouvrage dans de multiples environnements. Le réel ne pourra se réenchanter et sortir chacune des artistes de leur marasme que par leur rencontre, merveilleux moment où la timidité et l’appréhension sont vaincues par un simple dessin.

Dès lors ce leitmotiv du plan d’ensemble de l’artiste sur son pupitre, de dos agrippé à son dessin, s’élargit pour laisser place à une nouvelle partenaire de jeu dans le cadre, Kyomoto. Okayama réitère parfaitement le sens du détail et de l’ellipse de Fujimoto, l’enchantement du réel passant par les libertés prises dans des cadrages différent du manga lors de passages similaires. On ressent davantage l’harmonie des héroïnes, tant dans le silence d’une chambre où elles travaillent leurs planches, que dans un espace qui s’élargit topographiquement par les perspectives qu’il leur offre, par les rêves partagés désormais à deux. La sociable Fujino se découvre artiste et pas uniquement amuseuse par l’admiration que lui voue Kyomoto, et cette dernière surmonte ses craintes grâce à l’énergie de son amie. L’ambiguïté entre la dépendance et la volonté d’émancipation liant les deux adolescentes est superbement mise en scène, rappelant à chacun le schisme inéluctable de toute amitié fusionnelle.

Lorsque le drame sordide s’invite lors de l’épilogue, les retrouvailles et ce fameux réenchantèlent du réel se fera par le prisme du dessin, une manière de se façonner une réalité alternative où tout reste possible. Look Back, à l’instar de son pendant papier, est un petit classique en puissance, aussi universel qu’original.

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