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lundi 23 septembre 2024

Great Jaibreak - Daidatsugoku, Teruo Ishii (1975)


 Ichiro, condamné à mort, attend son exécution dans le couloir de la mort de la prison d'Abashiri après avoir été trahi par ses anciens acolytes. Avec d'autres codétenus, il s'évade de prison pour préparer sa vengeance. Mais le climat extrême du nord du Japon ne va pas leur faciliter la tâche.

Great Jaibreak est l’occasion de découvrir un Teruo Ishii œuvrant dans le polar, corpus fort conséquent de sa filmographie mais assez peu exporté en occident où ses films d’exploitation (la série des Joys of Torture (1968-1973), Female Yakuza Tale (1973), Les Huit vertus bafouées (1973)) et quelques fascinants ovnis (Blind Woman Curse (1970), Horror of Malformed Men (1969)) lui valurent une reconnaissance tardive grâce à la vidéo et la diffusion en festival. Ishii retrouve sur Great Jailbreak l’acteur Ken Takakura, dont il contribua à établir le statut de star avec le film Abashiri Prison (1965). L’immense succès de cette production va lancer une saga au très long cours de 18 films, dont 11 réalisé par Teruo Ishii. Le postulat de chacun est assez proche, avec un Takakura dans le rôle de Shin'ichi Tsukibana, prisonnier au sein de la vraie prison d’Abashiri à Hokkaido, cherchant à s’évader et vivant moults aventures. Usé à la fois par les schémas répétitifs de la série, ainsi que par les tournages éprouvants dans les rudes climats d’Hokkaido, Ishii malgré ses dispositions de réalisateur de studio malléable finira par jeter l’éponge avant le vrai/faux retour que constitue Great Jailbreak. Sorti en 1975, soit trois ans après l’ultime opus de Abashiri Prison, Great Jailbreak est initialement pensé comme une reprise de la série avant de prendre en partie une autre direction.

Le film de yakuza, et par extension l’étendard du genre qu’en incarne Ken Takakura, a connu bien des mues en quelques années. Ken Takakura, malgré la nature criminelle de ses personnages, dégageait une aura de droiture chevaleresque associée au sous-genre du Ninkyo produit par la Toei durant les années 60. Kinji Fukasaku va venir bousculer tout cela au début des années 70, avec des œuvres innovantes dans le fond et la forme, présentant des yakuzas plus rugueux, brutaux et finalement humains dans la saga Combat sans code d’honneur, Le Cimetière de la morale (1975), Guerre des gangs à Okinawa (1971), Okita le pourfendeur (1972). Ken Takakura, las de la persona filmique du Ninkyo qu’il reproduit à longueurs de rôles, semble donc un peu dépassé face à des stars émergentes révélées par Fukasaku comme le truculent Bunta Sugawara. Great Jailbreak apparaît donc comme une sorte de compromis entre le Ninkyo des années 60 et le Jitsuroku, son successeur des années 70. Les éléments familiers comme le cadre de la prison Abashiri, l’évasion et la présence de Ken Takakura sont donc bien là. Mais ce dernier porte un autre nom que celui de son personnage d’Abashiri Prison, et le thème musical (chanté par Takakura himself) de la saga, bien connu du public japonais, st absent afin de marquer la différence.

Dans le cadre du récit, cet entre-deux se poursuit avec la différence marquée entre Takakura et ses compagnons d’évasion. Le générique désigne leur « palmarès » criminel peu reluisant, tandis que la cavale révèle chez la plupart d’entre eux une monstruosité abjecte, notamment par une tentative de viol. Takakura est à part de ses affreux comparses et ne se montrera impitoyable qu’avec ce qui le méritent lorsqu’ils se placeront sur son chemin. Ishii souligne les actions nobles du personnage, installant de fugaces moment d’émotion suspendue (la mort du vieillard évadé devant son ultime coucher de soleil) et le montrant capable de risquer d’être démasqué afin d’aider une jeune femme (Asao Koike) en détresse. Il y a une volonté de maintenir l’aura chevaleresque et la dimension d’homme du peuple auquel le public peut encore s’identifier. L’infamie est réservée aux anciens comparses de Takakura (un flashback le dédouanant du meurtre pour lequel il est condamné à mort), que Ishii exprime par les actes observés ou laissés hors-champ et de véritables tares physiques illustrant la pourriture de leurs âmes tel l’horrible Goda (Kunie Tanaka). 

Formellement on oscille entre une tonalité apaisée et introspective (l’errance dans les plaines enneigées, la chambre d’auberge partagée par Takakura et la jeune femme) et le style plus heurté, violent et chaotique hérité de Fukasaku. C’est sans doute le problème du film de n’avoir pas réussit à suffisamment équilibrer son ton entre une certaine profondeur solennelle, et le récit d’exploitation plus décomplexé – soit justement le schisme entre le Ninkyo et le Jitsuroku. A ce titre le personnage de Bunta Sugawara, malgré tout le charisme rigolard de l’acteur, semble un peu un prétexte à faire le liant entre les genres, tonalités et époques du film de yakuza estampillé Toei. A la retenue dominant l’essentiel du récit, le final particulièrement brutal et gore donne l’impression d’avoir basculé dans un autre film. Great Jaibreak est donc un polar efficace, mais dont l’intérêt se savoure davantage par sa mise en contexte que par la réelle originalité du film.

Sorti en bluray français chez Roboto Films

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