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samedi 14 septembre 2024

Rapt à l'italienne - Mordi e fuggi, Dino Risi (1973)

Fabrizio, Raùl et Sylva dévalisent une banque et tuent le gardien. Ils sont repérés par la police près d'une station-service et prennent alors en otage Giulio Borsi, un industriel romain qui partait en week-end avec sa maîtresse Danda. La police se lance à leur poursuite, à bonne distance. Un des ravisseurs informe le commissaire Spallone qu'ils exigent une rançon de 100 millions de lires et un avion pour s'enfuir contre la libération des otages. Les gangsters font en fait partie d'un groupe d'activistes, et la presse, rapidement informée, suit les policiers qui suivent les malfaiteurs...

Les élans de moraliste féroce de Dino Risi surent toujours s'adapter aux mues de la société italienne à travers des brûlots cinglants. Rapt à l'italienne apparaît à ce stade comme une synthèse intéressante de ses précédentes charges, à l'aune de l'Italie de ce début des années 70. Le personnage de Borsi (Marcello Mastroianni) est un l'héritier des nouveaux riches veules et corrompus engendrés par le boom économique que l'on a pu observer dans Le Veuf (1959), Au nom du peuple italien (1971). Fabrizio (Oliver Reed), le meneur des preneurs d'otage illustre lui l'envers malsain et narcissique de la pureté idéologique, montrant la face hypocrite de l'activisme politique tout comme le protagoniste de Le Prophète (1968) représentait celle de la contre-culture et des mouvements hippies. 

On semble donc au départ en terrain connu avec ce Borsi dilettante et cynique quant à son commerce, et volage dans ses mœurs puisqu'il s'apprête à partir en week-end avec sa jeune maîtresse Danda (Carole André). La prise d'otage est donc l'occasion de fustiger toute la veulerie et superficialité de Borsi à travers des dialogues savoureux (toujours sous la menace de l'arme de ses ravisseurs, voyant la pluie tomber il se rappelle qu'il a laissé exposée sa décapotable) et situations rocambolesques, comme cette tentative de fuite au restaurant en laissant Danda prisonnière.

Cependant la construction de road-movie va servir de révélateur pour une réflexion plus vaste que la seule satire. La nature d'activistes des ravisseurs ne se révèle que progressivement, et va servir d'épouvantail aux médias pour anticiper les éventuels dommages subis par les otages. Le hold-up d'ouverture et le meurtre d'un agent laisse donc penser que les activistes ne sont que des gangsters comme les autres, d'autant que l'onéreuse demande de rançon prévaut sur quelconque revendication politique. La mascarade se révèle subtilement au fil du voyage et de la cohabitation forcée, les mauvais penchants de Borsi se révélant au moins sincères face au supposé engagement politique des activistes. Risi reflète de cette façon la vision possible des Italiens face aux Brigades Rouges dont les méfaits agitent le pays durant les Années de Plomb. Leurs contradictions se révèlent dans la manifestation de leurs manières rustres (Fabrizio pelotant lourdement Danda), la confrontation verbale avec de vrais engagés d'antan (le vieux garagiste les renvoyant à leur nature de gangsters ordinaires) et la nature creuse de leur discours, telle la féministe lesbienne Sylva (Nicoletta Machiavelli) soutenant l'agression sexuelle de son acolyte Fabrizio. 

Il faut le temps long du voyage, des rencontres et des péripéties pour exposer la vérité de chacun. Cependant Risi réserve une part d'humanité à ses protagonistes qui échappent à leurs caricatures. Borsi gagne grandement en dignité, servi par la prestation de plus en plus subtile de Mastroianni, notamment la belle scène durant laquelle il assume sa peur et son instinct de survie malheureux à Danda, et ce avant un réel geste noble durant l'épilogue. Comme souvent en Italie, la proximité régionale permet les rapprochements entre les individus et estompe les schismes sociaux, ce lien populaire se prolongeant lors d'une scène voyant Borsi et Fabrizio partager leurs souvenirs musicaux comme érotique à l'écoute d'une chanson de variété. D'ailleurs la dernière partie en huis-clos témoigne de la schizophrénie du récit et de ses participants avec la bonhomie de l'ancien général joué par Lionel Stander, cachant un passé peu reluisant sous sa bonhomie - qui s'estompe quand les intrus entonnent un chant communiste chez lui. On n’est finalement pas si loin du road-movie le plus emblématique de Risi, Le Fanfaron (1962) qui lui aussi démarrait tambour battant avec son duo faussement caricatural, puis laissant la mélancolie s'installer avec de nous cueillir par son drame final - ici particulièrement sanglant. 

Vu dans le cadre de la rétrospective Marcello Mastroianni à la Cinémathèque française 

1 commentaire:

  1. J'ai eu la chance de le voir cet été et, malgré ses imperfections, j'ai trouvé que c'était un film au rythme rapide, très intéressant.

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