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mardi 10 septembre 2024

Roméo et Juliette - Romeo and Juliet, George Cukor (1936)

Deux jeunes gens sont dans l'impossibilité de vivre leur amour à cause de querelles remontant à plusieurs générations entre leurs deux familles nobles....

Roméo et Juliette est une réponse de la MGM à la fastueuse version de Le Songe d’une nuit d’été de Max Reinhardt et William Dieterle (1935) produite l’année précédente. C’est une victoire pour le producteur Irving Thalberg qui s’était heurté à la réticence de Louis B. Mayer lorsqu’il avait envisagé dès le début des années 30 d’offrir une adaptation de la pièce de Shakespeare. La réussite formelle du film Warner avait montré les possibilités cinématographiques d’une autre transposition, et de plus Roméo et Juliette avait retrouvé un grand intérêt auprès du grand public grâce au succès d’une nouvelle version de la pièce jouée à Broadway en 1934. Thalberg fait le choix de George Cukor à la mise en scène, la réputation de ce dernier en tant que grand portraitiste des personnages féminins commençant à définitivement s’établir à Hollywood. Il opte aussi pour Norma Shearer, son épouse, comme Juliette même si à 34 ans elle est déjà loin de l’héroïne adolescente de Shakespeare. Il est d’ailleurs amusant de constater qu’il s’agit de l’avant-dernier grand leading-rôle de Norma Shearer avec Marie-Antoinette de W.S. Van Dyke (1938) et Femmes du même George Cukor, son déclin puis retrait du métier correspondant aussi à la disparition prématurée d’Irving Thalberg en 1936. 

Sur le même modèle que Le Songe d’une nuit d’été chez Warner, Roméo et Juliette recherche un alliage réussi entre l’apport du cinéma et une certaine prolongation des éléments théâtraux de l’histoire. Malgré plusieurs coupes et modifications, le film reste très fidèle dans le récit et le texte, et ce sera donc la dimension formelle qui va transcender l’ensemble. La scène d’ouverture introduit cette dimension théâtrale avec l’introduction « scénique » du drame de Roméo et Juliette, avant de nous faire basculer dans une veine de conte ou de mythe à l’histoire, un plan d’ensemble de décors peints laissant place à une procession religieuse dans un environnement plus concret. On y observe les clans Montaigu et Capulet défiler côte à côté, la tension se disputant au rire dans leur manière de se toiser et s’invectiver. Si le propos de Roméo et Juliette n’autorise pas la luxuriance féérique de Le Songe d’une nuit d’été, Cukor en reprend ici l’esthétique rococo. Il y a un jeu de strates entre le réalisme des costumes, la facticité grandiloquente des décors et l’alliance des deux dans la manière de fondre les personnages dans l’espace.

Cukor anticipe ses exploits à venir dans la comédie musicale durant la scène de bal, par un jeu d’échelle brillant entre les mouvements amples des danseurs, et le rapprochement plus feutré se faisant par le jeu feutré, intriguant puis aimant qui va rapprocher Roméo (Leslie Howard) et Juliette. La séquence apparaît comme une métaphore de leur amour en construction, le tumulte du bal correspondant à l’antagonisme de leurs familles, dont ils font abstraction en se rapprochant sans encore connaître leurs identités respectives. La déclamation et l’échange au balcon des amoureux prend une nouvelle fois le meilleur des deux mondes sous l’œil de Cukor. Les plans d’ensemble montrant Roméo faisant face, exalté, depuis terre, à Juliette inaccessible depuis son balcon, pourraient littéralement être repris de la pièce par leur composition « scénique ». La dimension cinématographique correspond au jeu de regard omniscients ou identifiés apportant une sorte de classicisme et d’idéal romantique dans la manière dont s’observe les amants. Leslie Howard juché dans un arbre semble transfiguré après l’avoir vu désespéré par une Rosaline désormais loin de ses pensées, et les gros plans sur Norma Shearer vibrante trahissent l’influence des peintres de la Renaissance comme Botticelli (déjà ressentie dans les décors). 

Leslie Howard, la quarantaine passée, est encore plus loin de l’âge du rôle que sa partenaire Norma Shearer. L’exaltation de son jeu, la douceur de ses traits et l’allant de sa silhouette fine rend cependant tangible son Roméo, tout comme la rondeur des traits de Norma Shearer en font justement à une madone de Boticelli. George Cukor abandonne l’idée d’avoir dans son couple l’archétype juvénile imaginé par Shakespeare, et choisit d’endosser et figer pleinement un archétype romantique. Cela se ressent notamment dans la scène des retrouvailles du couple dans la chambre de Juliette, la consommation de leur nuit passant par des fondus enchaînés floraux ou sur des ciels étoilés factices, tandis que s’insère dans la bande-son l’ouverture fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkovski.

Même si le couple est le principal pôle d’attraction, les seconds rôles sont particulièrement bien mis en valeur dans un casting prestigieux. Mention spéciale à Basil Rathbone (qui jouait Roméo dans la version Broadway) perfide et belliqueux à souhait en Tybalt, la gouaille et la truculence dandy de John Barrymore en Mercutio, ou encore une savoureuse Edna May Oliver dans le rôle de la nourrice. Il également une énergie et un sens de la chorégraphie appréciable dans les furieuse scène de duel à l’épée, dont le découpage et les cadrages très dynamiques sort par intermittences le film de cette impression d’une suite de tableaux. Malgré la connaissance et les multiples visions de différentes versions de l’histoire, l’esthétique splendide maintient donc l’attention et l’émotion même dans les passages attendus. Ainsi une Juliette « morte » et allongée toute de blanc immaculé dans sa robe offre un magnifique contraste à la silhouette noire et à la pose affligée de Roméo croyant l’avoir perdu dans un plan somptueux. Une romance tragique qui émeut toujours, grâce à la portée d’un beau livre d’images. 


 Sorti en dvd zone 1 français chez Warner et doté de sous-titres français

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