Dans une favela populaire de Rio de Janeiro, Fusée est un gamin de onze ans, pauvre, frêle et trop timide pour devenir hors-la-loi. Il grandit dans un environnement violent, mais rêve de devenir photographe professionnel. Petit Dé, un enfant du même âge, rêve quant à lui de devenir le plus grand criminel de Rio, et commence son apprentissage pour la pègre locale...
La Cité de Dieu est une œuvre qui fit grandement sensation à sa sortie, notamment par le renouveau qu’elle apporta au film de gangster. Les racines du genre au début des années trente et dans le contexte de la Grande Dépression l’avait de manière évidente ancré dans une perspective de propos social. Le rise and fall de sa structure narrative et ses héros prolos s’élevant par le crime racontaient étaient un instantané social et moral de la situation du pays. Le temps passant, le film de gangster avait finit par devenir un écrin rétro voyant des productions contemporaines renouer de manière fétichiste avec ce cadre des années 30 (notamment lors du revival des années 70 initié par Bonnie and Clyde d’Arthur Penn (1968). Si Scarface de Brian De Palma parvient, dans le fond et la forme (et malgré sa nature de remake) à se fondre dans son époque, Les Incorruptibles (1987) aussi réussi soit-il, renoue avec cette nostalgie. Les Affranchis (1990) et Casino (1995) de Martin Scorsese, ainsi que Miller’s Crossing des frères Coen (1990) sont de grands films, mais dont les ambitions de fresques et de déconstructions s’éloignent finalement d l’urgence sociale et la nervosité urbaine correspondant aux fondations du film de gangster – avec néanmoins de belles exceptions comme Les Anges de la Nuit de Phil Joanou (1990).
Si La Cité de Dieu est largement redevable à Scorsese et au cinéma américain, le film apporte à sa sortie une fraîcheur bienvenue transcendant les archétypes sur plusieurs points. C’est une œuvre qui détone par rapport au genre, mais aussi dans la production brésilienne puisque la réalité sordide des favelas était synonyme de récit réaliste et aride tel que le célèbre Pixote, la loi du plus faible de Hector Babenco (1981). La Cité de Dieu apporte donc l’ampleur narrative et formelle des épopées scorsesiennes tout en filmant à hauteur de bidonville une réalité peu connue, à la fois du public occidental mais d’un large pan des Brésiliens eux-mêmes puisque la sortie du film en pleine élections présidentielles suscita son lot de débat. A l’origine on trouve le roman éponyme de Paulo Lins publié en 1997. Né en 1958, l’auteur a passé son enfance dans la « Cité de Dieu ». Ce lieu désigne une favela au sein de laquelle fut rapatriée tout un pan de population pauvre après les inondations qui ravagèrent le pays en 1966 et 1967. Alors que le paysage urbain brésilien se modernise, la Cité de Dieu ainsi que d’autres favelas en sont exclues, volontairement éloignées des grandes et entrant progressivement dans un déterminisme social ainsi qu’une spirale de violence et criminalité. Chargé d’accompagner une étude anthropologique autour de la Cité de Dieu, Paulo Lins en tira tout d’abord un poème puis un roman foisonnant au sein duquel il entrecroisait ses souvenirs avec les nombreux témoignages qu’il avait pu récolter. Quelques années plus tard, Fernando Meirelles le contacte afin d’en tirer une adaptation qui, malgré de nombreux changements nécessaires à l’efficacité narrative (le roman comporte plus de 300 personnages qu’il fallut supprimer, fusionner ou réinventer les liens), est très fidèle comme on pourra le constater lors du générique présenter les photos des vrais protagonistes à côté de celles de leurs interprètes, et même la vraie archive télévisée reconstituée plus tôt dans l’intrigue. La séquence d’ouverture donne le ton des différentes humeurs formelles et narratives qui agiteront le film. Un montage saccadé accompagne une course effrénée après une poule dans les rues de la favela, ce chaos s’interrompant pour déboucher sur les prémices d’une confrontation musclés entre voyous et policiers au milieu de laquelle se trouve coincé notre héros Fusée (Alexandre Rodrigues). Un travelling circulaire initie le flashback vers les années 60, dans une Cité de Dieu où, pour le pire et le meilleur, tout reste à construire. On ressent la structure du roman non pas dans ce découpage par période, mais par les sauts ludiques entre groupes de personnages. Cela témoigne ainsi d’une forme d’innocence, notamment dans la première histoire du « Trio Tendresse », groupe d’adolescents dont les larcins semi-improvisés relèvent presque du western – aspect accentué par la colorimétrie jaunâtre de ce segment dans une favela vide et non goudronnée. La violence endémique et le vrai mal absolu repose davantage sur les personnages secondaires (Nabot le mari jaloux coupable de féminicide), ou momentanément en retrait (Petit Dé (Douglas Silva) gamin déjà dangereusement ambitieux) que ce trio dont l’oisiveté et l’inconséquence causera la perte. Meirelles et Katia Lund manient avec brio la fresque, la chronique et l’anecdote dans une mise en scène inventive et un montage brillant. L’histoire d’une planque de deal narrée en plan fixe et une multitude de fondus enchaînés est un véritable tour de force offrant l’instantané d’un lieu, introduisant l’incarnation adulte et terrifiante du désormais rebaptisé Petit Zé (Leandro Firmino), ainsi qu’un grand nombre de protagonistes que l’on recroisera par la suite. Ce côté ample et virtuose apporte le même côté ambigu et « séduisant » des meilleurs films de gangsters, mais que Meirelles désamorce intelligemment. Ce sera tout d’abord à travers son narrateur Fusée, sorte de double de Paulo Lins. Le talent littéraire qui sortira ce dernier de la favela devient cependant un attrait pour la photo dans le film, élément offrant des perspectives formelles et dramatiques plus grandes pour les besoins du récit. Fusée est un adolescent au préoccupations ordinaires (courir les filles, fumer des joints), mais rattraper par la réalité criminelle qui l’entoure. Sa voix-off apporte une hauteur de vue et une distance bienvenue, même si le présent le ramène constamment à la poudrière de son quotidien au détour de la moindre ruelle, de la rencontre la plus inopinée. Après la mise en place stylisée, les instantanés plus crus nous rappellent plusieurs fois que nous avons affaire à de jeunes, voir très jeunes protagonistes, dans ces rôles de malfrats endurcis. Béné (Phellipe Haagensen) démontre la construction d’un personnage léger, insouciant et beatnik ne pouvant échapper au déterminisme de la Cité de Dieu, son acolyte Petit Zé s’y fond avec délectation et n’imagine pas d’autres possibilités que la tyrannie – la scène où il se trouve totalement démunis durant une soirée dansante et incapable d’inviter une fille à danser. La spirale est si inéluctable que les victimes et bourreaux sont, durant des scènes insoutenables où les effets s’estompent, des enfants n’étant pas plus vieux que le début ou le milieu d’école primaire. La criminalité et la violence est un jeu pour les « Minus », jusqu’au moment des représailles et que la terreur sur leurs traits poupins les ramène à leur vulnérabilité. Le casting se fit auprès de 200 enfants dans les favelas et un court-métrage, Palace II (2002) servit de prélude et de galop d’essai à La Cité de Dieu après une longue formation dramatique à raison de 2 jours par semaine. Le résultat est là et à la manière des fresques scorsesiennes, une anecdote, une trogne originale, un surnom, suffisent à faire exister toute la multitude de protagonistes croisés, quel que soit leur temps à l’écran. On peut d'ailleurs deviner les équilibres entre les coréalisateurs, la filmographie à venir de Meirelles (The Constant Gardener (2005), Blindness (2008)) trahissant les élans formalistes du film tandis que le passif documentaire d'une Katia Lund ayant déjà filmé les favelas auparavant (assistante de Spike Lee sur le clip They don't care about us de Michael Jackson, coréalisatrice du documentaire Noticias de uma Guerra Particular (1999) sur les violences dans les bidonvilles) se ressent dans l'authenticité "sur le vif" baignant l'ensemble.La réalisation sait habilement placer un discret focus sur le moindre quidam destiné à occuper une place majeure plus tard dans l’histoire, tel Manu le trompeur (Seu Jorge) poussé à la criminalité par vengeance puis finissant par s’y complaire par goût – cette dimension séduisante ambiguë s’incarnant par la mise en scène et la caractérisation en faisant sauter les barrières morales initiales du personnage. La colorimétrie segmente bien les différentes périodes du récit (la teinte jaune de l’innocence des années 60, le bleu dominant l’âge d’or et la paix, tandis que le gris métallique s’impose dans le chaos final), celles-ci témoignant aussi des mues du Brésil par l’urbanisation progressive de la favela, le capitalisme prégnant dans le nouvel intérêt vestimentaire des personnages et la bande-son où les rythmes brésiliens laissent place aux tubes internationaux. La conscience sociale ne s’estompe jamais sous l’efficacité et le plaisir manifeste de raconter, notamment une corruption policière évoquée en fil rouge et s’exposant pleinement dans la dernière partie. Plus de 20 ans après sa sortie, La Cité de Dieu peut donc assurément mériter le statut de film de gangster du 21e siècle, selon les vertus que l’on en attend et évoquées en début de texte.
Ressortie en salle le 11 décembre
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