Trois jeunes séminaristes quittent leur monastère pour partir en vacances. La nuit, ils se font héberger par une fermière qui se révèle être une sorcière. Khoma l’empoigne et la laisse pour morte, après qu’elle se soit transformée en jolie jeune fille. Sous la pression de la famille, le recteur oblige Khoma à passer trois nuits auprès de la défunte afin de prier pour son âme. Il va vivre trois nuits d’épouvante jusqu’à l’apparition de VIJ, le démon et maître des Gnomes…
Vij ou le Diable est un film qui fut pendant longtemps un des rares exemples de cinéma d'épouvante soviétique. Il s'agit de l'adaptation de la nouvelle Vij de Nicolas Gogol, publiée pour la première fois en 1835. L'auteur y figeait là sur papier un conte folklorique russe de tradition orale, à travers des choix et une tonalité qui contribueraient à perpétuer le récit. Il y eut précédemment deux adaptations muettes, l'une tournée par Vassili Gontcharov en 1909 et l'autre par Ladislas Starewitch en 1916. Néanmoins, la version restée la plus fameuse (bien qu'il s'agisse d'une adaptation s'éloignant beaucoup du matériau originel) est Le Masque du Démon de Mario Bava (1960). Peut-être que le retentissement du film de Bava, ainsi que l'essor de tout un cinéma gothique notamment la Hammer durant les années 60 incita le cinéma soviétique à apporter sa pierre à l'édifice, et se réapproprier ce patrimoine culturel. Ivan Pyriev, directeur du studio Mosfilm va donc lancer l'idée d'une nouvelle adaptation. Les contraintes de temps lui font engager deux novices à la réalisation, Konstantine Ierchov et Gueorgui Kropatchiov qui sont à l'époque étudiant au Cours supérieurs de formation des scénaristes et réalisateurs de Moscou. Néanmoins la contribution majeure qui fera passer le projet à la postérité est celle d'Alexandre Ptouchko. En effet, les premiers rushes de Konstantine Ierchov et Gueorgui Kropatchiov sont jugés trop réalistes, de nombreuses scènes ayant été tournées dans de véritables églises orthodoxes en Ukraine soviétique. Ptouchko est donc chargé de réécrire en partie le scénario et de retourner de nombreuses séquences au sein desquelles son imaginaire et sa science des effets visuels vont créer une vraie différence.Le point faible du film est la faiblesse de son implication émotionnelle. Si les raccourcis narratifs fonctionnent parfaitement dans la logique de récit merveilleux dans les propres films de Ptouchko (Sampo, le jour où la terre gela (1959), Le Géant de la Steppe (1956), Le Conte du tsar Saltan (1967)), développer une histoire d'épouvante demande un ancrage un peu plus marqué dans le contexte et la caractérisation des personnages pour lesquels on doit avoir peur. Ainsi, si l'on s'amuse de la vision fortement anticléricale des séminaristes (courant les filles, portés sur la vodka, dissipés), les circonstances amenant le malheureux Khoma (Leonid Kouravliov) à croiser la route de la sorcière sous ses traits vieillis, puis la veiller en tant que cadavre de jeune fille, sont un peu expédiée. Même l'imagerie merveilleuse supposée conduire à ce moment est un peu bâclée par rapport à ce dont Alexandre Ptouchko nous avait habitué. Heureusement, lorsqu'arrivent les grands morceaux de bravoure des épiques trois scènes de veille nocturne de la sorcière, l'attente est comblée.Alors que le gothique anglo-saxon et italien déploie leur frayeur dans un certain art de la lenteur pour faire monter la tension, par le hiératisme menaçant de son bestiaire horrifique, Vij ou le Diable choisit de son côté l'option de l'excès et de la folie totale - anticipant la frénésie horrifique de certaines productions hongkongaises comme L'Exorciste Chinois (1980), ou Histoire de fantômes chinois (1987) et ses suites. A partir du moment où Khomat est enfermé dans l'église pour sa première nuit de garde, les éléments se déchaînent. Nuées de chats noirs en fuite, cercueil qui voltige, une sorcière (Natalia Varley) hystérique qui admoneste Khomat les yeux écarquillés et dans une gestuelle grandiloquente, c'est un instantané de chaos. Le parti-pris horrifique renouvèle grandement l'esthétique de Ptouchko plus habitué à nous émerveiller qu'à nous effrayer, avec une direction artistique époustouflante. Le décor de l'église semble se réduire et s'agrandir au gré de l'état mental de Khomat, une caméra d'une mobilité sidérante accompagne les mouvements aériens agressifs de la sorcière et le mélange des techniques impressionne comme ce travelling circulaire autour de Khomat tandis qu'une rétroprojection cauchemardesque transforme l'arrière-plan. La photo de Fiodor Provorov et Viktor Pichtchialnikov contribue à la frénésie ambiante par ses teintes agressives de vert, de jaune et de bleu, les variations de cette gamme chromatique allant crescendo au fil des trois nuits. Après avoir vaillamment résisté au cours des deux premières nuits avec tout son arsenal d'exorcisme et sa rage de survivre, Khomat vacille avant l'ultime confrontation et tente de s'enfuir en vain. L'émotion s'installe avant le plat de résistance où Ptouchko déploie toute sa maestria. Inserts lourds de symboliques religieuses, cadrages biscornus et festival de créatures démoniaques en tout genre exploite absolument tous le savoir-faire et les techniques du réalisateur. Les marionnettes, la stop-motion, les maquillages inquiétants et autres costumes grotesques forment un défilé de l'horreur absolument jouissif. On regrette d'ailleurs que Vrij, le monstre gnome et roi des démons donnant son titre au film, fasse une apparition si brève malgré son costume très réussi. Le film sera un immense succès en Union Soviétique où il totalisera 32 millions d'entrées, et sa réussite si marquante qu'il faudra attente 2014 pour qu'une autre production locale s'attaque de nouveau à la nouvelle de Gogol.
Sorti en bluray français chez Artus Films
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