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vendredi 11 avril 2025

The Cherry Orchard - Sakura no Sono, Shun Nakahara (1990)


 Chaque année, un lycée pour fille a pour tradition la tradition de célébrer l’anniversaire de la fondation en faisant interpréter par les membres du club de théâtre la pièce La Cerisaie d’Anton Tchekhov. La représentation annuelle va rencontrer quelques obstacles menaçant sa réalisation.

The Cherry Orchard est un beau récit d'apprentissage dont le charme réside dans sa narration très originale. Le film est adapté d'un manga (publié entre 1985 et 1986 au Japon) de Akimi Yoshida dont il parvient à resserrer l'approche de manière très intéressante. Le film déploie dans une temporalité plus restreinte, soit une ou deux journée, l'intrigue du manga qui choisissait de mettre l'accent dans chaque chapitre sur une des héroïnes et de sa vie quotidienne. Shun Nakahara fait de son adaptation un vrai récit choral où, dans l'imminence et l'urgence de la représentation de la pièce, les émotions ainsi que les questionnements des lycéennes se trouvent exacerbés.

Le dispositif filmique adopte également une sorte construction théâtrale avec des actes marqués par une vraie unité de temps et de lieu. Toute la première partie voit le défilement des adolescentes dans la salle de costumes. Le lieu est vide durant la scène d'ouverture si ce n'est Kaori (Miho Miyazawa) et son petit ami, dans un moment amoureux naïf et spontané. Le remplissage de la pièce par la nuée de lycéennes membre du club de théâtre fait ressurgir les codes du collectif et amènent à refouler les émotions trop sincères. Kaori n'assume pas flirter avec un garçon devant ses camarades, les petites médisances sur les absentes traversent les discussions, les interactions deviennent plus superficielles. Il faut dire que la singularité, le fait de sortir du lot, est bien mal vue dans le cadre strict du lycée et par extension dans la société japonaise, chose à laquelle ce lieu éducatif prépare. Ainsi la représentation de la pièce se voit soudain menacée car la veille, l'élève Sugiyama (Miho Tsumiki) a été surprise en train de fumer en dehors du lycée.

Le collectif est source d'unité et d'anxiété pour les héroïnes, ce que le réalisateur souligne en restant longuement dans cette salle de club. Les entrées et sorties des personnages en font un lieu de refuge face aux règles de l'extérieur duquel proviennent toutes les mauvaises nouvelles, mais aussi une forme différente des codes de ce monde extérieur. Plus la pièce se remplit, plus Nakahara n'autorise les réactions personnelles qu'à la dérobée d'un geste ou d'un regard, et plus elle se vide, plus la sincérité et les confidences s'autorisent.

Cela se ressent dans l'approfondissement des informations révélées au départ, lorsque certains personnages quittent ce lieu. "L'infamie" de Sugiyama s'avère avoir été largement amplifiée par la rumeur, Chiyoko si sûre d'elle en apparence est en fait rongée par le trac avant sa prestation, et Yuko avoue à demi-mot ses sentiments pour cette dernière. Le triangle amoureux tout en non-dits des trois lycéennes est captivant et très touchant, trouvant une connexion idéale avec les thèmes de La Cerisaie et les questionnements de la société japonaise. L'histoire se déroule en fin d'année scolaire, soit une période de début de printemps au Japon et plus précisément le fameux "printemps des cerisiers" offrant de si belles images du pays à ce moment là - et dont le film ne se gêne pas pour offrir de somptueux panoramas.

Certaines élèves de dernière année s'apprêtent à quitter le lycée et sont donc, dans ces derniers moments en ces lieux, et pour leur avenir, en pleine interrogations sur l'audace de travailler une différence ou la sécurité de se fondre dans la norme. La Cerisaie est aussi en toile de fond une pièce évoquant l'acceptation ou le refus des mues sociétales d'une famille d'aristocrates russes confrontés aux conséquences de l'abolition du servage de 1861. Dans le film cela se joue dans les confrontations au monde des adultes. Ceux-ci sont majoritairement absents, hors-champs ou ridiculisés lorsqu'ils apparaissent, représentant avant tout un obstacle à la liberté d'être des adolescentes. La seule échappant à cette description est Madame Satomi (Mai Okamoto), professeur protégeant le club de théâtre mais qui, en tant que femme et ancienne élève du lycée, se trouve infantilisée par ses supérieurs ce qui introduit aussi une notion de machisme systémique.

La mangaka Akimi Yoshida s'est notamment fait connaître pour Banana Fish, shojo policier au sous-texte largement homoérotique et The Cherry Orchard antérieur à ce titre phare anticipe largement cet aspect, mais en scrutant cette fois les amours lesbiennes adolescentes - dans une tonalité chaste s'inscrivant dans le sous-genre du yuri.Cela donne certains des moments les plus sensibles du film, notamment la déclaration timide de Yuko à Chiyoko, et la manière dont la réciprocité des sentiments s'exprime formellement par les photos communes qu'elles prennent sur le polaroïd de Yuko. 

La déclaration se fait en plan large au moment de la photo, et plus la connexion et l'attirance commune entre les deux jeunes filles se confirment, plus elles prennent d'autres photos ensemble en se rapprochant de l'appareil jusqu'à une ultime prise joues contre joues et partageant un regard complice. L'idée est aussi romantique qu'efficace et inventive. Le film sera un grand succès qui engendrera trois adaptations scéniques (le matériau s'y prêtant particulièrement) en 1994, 2007 et 2009 et Shun Nakahara signera même un remake en 2008 - qui peut potentiellement être très intéressant et pertinente aussi par le prisme d'une adolescence nourrie aux réseaux sociaux.


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