Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
The Cherry Orchard - Sakura no Sono, Shun Nakahara (1990)
Chaque année, un lycée pour fille a pour
tradition la tradition de célébrer l’anniversaire de la fondation en
faisant interpréter par les membres du club de théâtre la pièce La
Cerisaie d’Anton Tchekhov. La représentation annuelle va rencontrer
quelques obstacles menaçant sa réalisation.
The Cherry Orchard est un beau récit
d'apprentissage dont le charme réside dans sa narration très originale.
Le film est adapté d'un manga (publié entre 1985 et 1986 au Japon) de
Akimi Yoshida dont il parvient à resserrer l'approche de manière très
intéressante. Le film déploie dans une temporalité plus restreinte, soit
une ou deux journée, l'intrigue du manga qui choisissait de mettre
l'accent dans chaque chapitre sur une des héroïnes et de sa vie
quotidienne. Shun Nakahara fait de son adaptation un vrai récit choral
où, dans l'imminence et l'urgence de la représentation de la pièce, les
émotions ainsi que les questionnements des lycéennes se trouvent
exacerbés.
Le dispositif filmique adopte également une sorte construction théâtrale
avec des actes marqués par une vraie unité de temps et de lieu. Toute
la première partie voit le défilement des adolescentes dans la salle de
costumes. Le lieu est vide durant la scène d'ouverture si ce n'est Kaori
(Miho Miyazawa) et son petit ami, dans un moment amoureux naïf et
spontané. Le remplissage de la pièce par la nuée de lycéennes membre du
club de théâtre fait ressurgir les codes du collectif et amènent à
refouler les émotions trop sincères. Kaori n'assume pas flirter avec un
garçon devant ses camarades, les petites médisances sur les absentes
traversent les discussions, les interactions deviennent plus
superficielles. Il faut dire que la singularité, le fait de sortir du
lot, est bien mal vue dans le cadre strict du lycée et par extension
dans la société japonaise, chose à laquelle ce lieu éducatif prépare.
Ainsi la représentation de la pièce se voit soudain menacée car la
veille, l'élève Sugiyama (Miho Tsumiki) a été surprise en train de fumer
en dehors du lycée.
Le collectif est source d'unité et d'anxiété pour les héroïnes, ce que
le réalisateur souligne en restant longuement dans cette salle de club.
Les entrées et sorties des personnages en font un lieu de refuge face
aux règles de l'extérieur duquel proviennent toutes les mauvaises
nouvelles, mais aussi une forme différente des codes de ce monde
extérieur. Plus la pièce se remplit, plus Nakahara n'autorise les
réactions personnelles qu'à la dérobée d'un geste ou d'un regard, et
plus elle se vide, plus la sincérité et les confidences s'autorisent.
Cela se ressent dans l'approfondissement des informations révélées au
départ, lorsque certains personnages quittent ce lieu. "L'infamie" de
Sugiyama s'avère avoir été largement amplifiée par la rumeur, Chiyoko si
sûre d'elle en apparence est en fait rongée par le trac avant sa
prestation, et Yuko avoue à demi-mot ses sentiments pour cette dernière.
Le triangle amoureux tout en non-dits des trois lycéennes est captivant
et très touchant, trouvant une connexion idéale avec les thèmes de La Cerisaie
et les questionnements de la société japonaise. L'histoire se déroule
en fin d'année scolaire, soit une période de début de printemps au Japon
et plus précisément le fameux "printemps des cerisiers" offrant de si
belles images du pays à ce moment là - et dont le film ne se gêne pas
pour offrir de somptueux panoramas.
Certaines élèves de dernière année
s'apprêtent à quitter le lycée et sont donc, dans ces derniers moments
en ces lieux, et pour leur avenir, en pleine interrogations sur l'audace
de travailler une différence ou la sécurité de se fondre dans la norme.
La Cerisaie est aussi en toile de fond
une pièce évoquant l'acceptation ou le refus des mues sociétales d'une
famille d'aristocrates russes confrontés aux conséquences de l'abolition
du servage de 1861. Dans le film cela se joue dans les confrontations
au monde des adultes. Ceux-ci sont majoritairement absents, hors-champs
ou ridiculisés lorsqu'ils apparaissent, représentant avant tout un
obstacle à la liberté d'être des adolescentes. La seule échappant à
cette description est Madame Satomi (Mai Okamoto), professeur protégeant
le club de théâtre mais qui, en tant que femme et ancienne élève du
lycée, se trouve infantilisée par ses supérieurs ce qui introduit aussi
une notion de machisme systémique.
La mangaka Akimi Yoshida s'est notamment fait connaître pour Banana Fish, shojo
policier au sous-texte largement homoérotique et The Cherry Orchard
antérieur à ce titre phare anticipe largement cet aspect, mais en
scrutant cette fois les amours lesbiennes adolescentes - dans une
tonalité chaste s'inscrivant dans le sous-genre du yuri.Cela
donne certains des moments les plus sensibles du film, notamment la
déclaration timide de Yuko à Chiyoko, et la manière dont la réciprocité
des sentiments s'exprime formellement par les photos communes qu'elles
prennent sur le polaroïd de Yuko.
La déclaration se fait en plan large
au moment de la photo, et plus la connexion et l'attirance commune entre
les deux jeunes filles se confirment, plus elles prennent d'autres
photos ensemble en se rapprochant de l'appareil jusqu'à une ultime prise
joues contre joues et partageant un regard complice. L'idée est aussi
romantique qu'efficace et inventive. Le film sera un grand succès qui
engendrera trois adaptations scéniques (le matériau s'y prêtant
particulièrement) en 1994, 2007 et 2009 et Shun Nakahara signera même un
remake en 2008 - qui peut potentiellement être très intéressant et
pertinente aussi par le prisme d'une adolescence nourrie aux réseaux
sociaux.
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