Pages

lundi 13 février 2012

Lolita - Stanley Kubrick (1962)


Humbert Humbert, professeur de littérature française, cherche à louer une chambre pour l'été dans le New Hampshire. À cette occasion, il se présente chez Charlotte Haze, une veuve en mal d'amour qui, jouant les enjôleuses et les érudites, lui fait visiter sa maison et lui vante tous les avantages de la chambre à louer. C'est uniquement parce qu'il découvre l'existence de la jeune fille de Charlotte, Dolorès (surnommée « Lolita »), dont il tombe amoureux et pour rester auprès d'elle qu'Humbert louera la chambre puis épousera la mère.

Lolita sonne comme la déclaration d'indépendance de Stanley Kubrick où tous les éléments se mettent en place pour en faire le réalisateur démiurge et tout puissant que l'on connaît. Bien que bénéficiant déjà d'une renommée certaine, Kubrick après la réussite de L'Ultime razzia aura été constamment le jouet d'éléments non désirés dans le processus créatif de ses films suivant. Cela pu être le cas parfois pour le meilleur lorsque Kirk Douglas lui impose la fin pessimiste correspondant à la réalité des faits (quand Kubrick encore naïf souhaitait inclure une happy-end pour assurer un plus grand succès) sur Les Sentiers de la Gloire mais on retiendra surtout un Spartacus qui aussi brillant soit-il est bardé de compromis frustrants pour Kubrick (soumis à la volonté de son tout puissant producteur Kirk Douglas encore) et aussi La Vengeance au deux visages où après une longue préparation il est congédié par Marlon Brando qui réalisera lui-même le film. Enfin auréolé d'un certain pouvoir après le succès de Spartacus, Kubrick se lance donc un défi qui s'il le relève lui conférera enfin l'autonomie à laquelle il aspire. Et quel meilleur challenge que l'adaptation du roman le plus controversé de son temps ? Une audace astucieusement relevée dans l'accroche de l'affiche à l'époque : How did they ever made a movie of Lolita ?

La réussite du film tient en la parfaite compréhension que Kubrick aura de l'essence du livre. Aussi perverse, malsaine et choquante soit-elle, le récit est celui d'une histoire d'amour ou plus précisément d'une passion. Passion à sens unique d’Humbert Humbert tombé fou amoureux d'une fillette de douze ans qui lui fera perdre la tête. Vladimir Nabokov plaçait ainsi le lecteur dans une très dérangeante position où on partageait le désir et les pulsions coupables d'un pervers, mais aussi la nostalgie et la détresse d'un amoureux abandonné. L'écriture à la première personne brillante de Nabokov nous rendait cet Humbert tour à tour railleur, calculateur et imbu de lui-même mais aussi grandement pitoyable et pathétique.

Dès lors le choix d'un acteur aussi subtil et raffiné que James Mason est une idée de génie et Kubrick (sur un scénario de Nabokov qui adapte lui-même son livre mais que le réalisateur remaniera profondément) va dans ses changements par rapport au livre constamment creuser ce sillon. La longue introduction du livre qui décrivait les origines de la perversion de Humbert Humbert à travers sa première vie en Europe est éliminée pour entrer dans le vif du sujet. L'assassinat de Clare Quilty qui formait la conclusion sur papier sert désormais d'introduction pour ressentir la douleur et la détermination de cet homme prêt à faire payer celui qui lui a volé l'amour de sa vie. Les longs monologues enflammés de Nabokov sont résumés à cette seule scène qui résume tout : Humbert Humbert a aimé et a perdu.

La vraie histoire peut alors commencer et montrer ce qui a conduit à cette violente ouverture. Kubrick se délecte à dépeindre cet environnement pavillonnaire peuplés de médiocres notamment la visite de la pension par Humbert (James Mason) où Shelley Winters fait merveille en rombière faussement raffinée et en quête de mari. Divers moments caustiques de cet acabit viendront ternir le vernis propret de cet environnement notamment les avances grossière que subit Humbert de la part des personnages féminins frustrés et vieillissant qui traversent le film : Shelley Winters bien sûr, Mrs Farlow durant la scène de bal, le professeur de piano ou encore une voisine dans la dernière partie.

Mais Humbert n'a d'yeux que pour Lolita dont Kubrick signe une première apparition fantasmatique à souhait, entre candeur et séduction. Sue Lyon est excellente pour traduire cette ambiguïté avec une féminité largement affirmée par les formes de son corps svelte mais dont les traits trahissent la jeunesse, autant nymphe que gamine.

C'est d'ailleurs le seul moment où elle apparaît aussi ouvertement érotisée à quelques exceptions près (ce moment plutôt sensuel ou Humbert lui passe du vernis sur les orteils, la tension érotique durant la scène de la chambre d'hôtel) puisque ce côté fantasmé est entièrement soumis au regard concupiscent de James Mason. On perd d'ailleurs totalement de cette dimension dans la dernière partie lorsque le désir assouvi Lolita lui échappe progressivement.

Malgré les coupes nécessaires et la censure évidente (notamment une Sue Lyon quinze ans et plus femme que le personnage du livre âgé de douze ans), Kubrick respecte l'empathie malsaine instaurée par Nabokov où sans scènes explicites le stupre est largement présent. On retiendra notamment ce regard de Mason levant les yeux de son journal avant qu'un zoom arrière révèle qu'il observe Lolita en train de faire du Hula hoop, ou encore lorsqu'il se stimule au lit avec Charlotte Haze en observant en coin un photo de Lolita.

Le sommet est atteint lors de la longue séquence dans la chambre d'hôtel (là encore Kubrick atténue par rapport au livre où Humbert tente carrément de droguer Lolita pour la posséder) où Lolita explique à Humbert les "jeux" qu'elle pratiquait avec les garçons en camp de vacances. Les détails sont chuchotés mais le fondu au noir où on passe de la parole à la pratique est lourd de sens. Le lecteur du livre aura même réagi lors d'un dialogue en amont où Lolita explique au téléphone à sa mère qu'elle a perdu son pull neuf "dans les bois".

Autre grande inspiration, le choix de Peter Sellers en de Clare Quilty. Dans le livre, Nabokov en fait un rival distant et quasi invisible qu'on évoque plus qu'on ne voit hormis lors de la conclusion meurtrière. Kubrick conserve cet idée en la pervertissant puisque l'ouverture en flashback détermine le rôle qu'il va jouer dans l'histoire et que malgré ses apparitions disséminées et parfois grimé (le psychologue scolaire Dr. Zempf où il exerce son accent allemand avant Docteur Folamour) on reconnaît toujours Peter Sellers qui cabotine à cœur joie. James Mason entre réelle détresse amoureuse et dégoût offre une très grande prestation où il parvient à toucher lors de cette ultime entrevue avec Lolita où il la suppliera une fois de plus en larmes de repartir avec lui.

C'est sans doute un des films les plus pessimistes de Kubrick, un de ceux où son peu de fois en la nature humaine se ressent le plus. On a d'un côté les intellectuels (Humbert, Quilty) bardés de perversions et de l'autre les êtres ordinaires dépeint comme médiocre (Charlotte Haze) ou quelconque lorsqu'on retrouvera Lolita adulte à la fin.

Hors du regard d'Humbert, elle nous sera apparue comme n'importe quelle adolescente mâcheuse de chewing gum et buveuse de soda, plus jolie et espiègle que la moyenne. Ce qui la distingue, c'est l'amour exclusif et contre-nature d'un homme. C'est aussi ce qui distingue le livre et le film, la description d'une passion aussi sincère qu'inacceptable. Kubrick se sera sorti du piège avec brio et au passage trouvé une nouvelle terre d'accueil dans cette Angleterre où il s'exila le temps du tournage et qu'il ne quittera plus.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner


2 commentaires:

  1. Merci pour ce très beau billet qui résume parfaitement ce que j'avais ressenti à la lecture du livre et en voyant le film...

    RépondreSupprimer
  2. Merci ! J'avais déjà vu le film auparavant sans connaître le livre que j'ai lu récemment et on savoure d'autant plus la finesse et l'intelligence de l'adaptation de Kubrick qui fait tout les bon choix pour lui rendre justice au mieux malgré les entraves de la censure. Je suis curieux de voir l'adaptation récente des 90's (qui traîne une assez mauvaise réputation tout de même) avec Jeremy Irons...

    RépondreSupprimer