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mercredi 9 janvier 2013

Speed Racer - Andy et Larry Wachowski (2008)


Speed Racer est un jeune prodige de la course automobile, né pour la course au sein d'une famille de pilotes. Or, lorsqu'il défie M. Royalton, président-directeur général corrompu des Industries Royalton, le jeune homme découvre que tout n'est pas rose dans le sport qu'il adore.

 En 1999 avec le premier volet de la trilogie Matrix on attribuait aux frères Wachowski une vraie révolution visuelle, confirmée durant les années suivantes où l’esthétique du film contaminait tout le cinéma d’action mondial. Tout d’un coup les blockbusters étaient envahi de héros tout de cuir vêtus, de scènes de boite de nuit à l’éclairage vert sur fond de techno et les arts martiaux s’invitaient dans les  productions les plus inattendues (Charlie et ses drôles de dames). Cet excès de décalque allait rapidement ringardiser Matrix bien malgré lui, d’autant que le film ne représentait pas tout à fait la révolution qu’on nous avait vendue. Les Wachowski avait plutôt procédés à une démocratisation de tout un pan de culture réservée à un cercle restreint (les jeux vidéo, l’animation japonaise, le cinéma d’action de Hong Kong, le cyberpunk, les jeux de rôles) dans un tout cohérent et accessible au grand public à travers un récit obéissant au règle de l’épopée classique. 

La forme empruntait énormément à ses différents matériaux sans innover et le premier Matrix malgré la réelle vision des Wachowski ne poussait pas assez loin la démarche. Les deux épisodes suivant seraient plus intéressant et complexe notamment Matrix Reloaded remettant audacieusement en cause le dogme mystique et quasi religieux du premier volet mais trop ambitieux les Wachowski se montreraient hermétique et un peu abscons dans leur démarche où les tunnels de dialogues philosophiques citant Baudrillard croiseraient des scènes d’actions faramineuses parfois vide de tout implication émotionnelle. Finalement si Matrix conserve son aura culte, les deux suites sont nettement plus discutées aujourd’hui. 

Etrangement, lorsque la réelle révolution arriverait avec Speed Racer, le grand public ne suivrait pas. Pourtant Speed Racer est un film autrement plus grand public, ludique et accessible que les Matrix dont il reprend tous les thèmes de manière bien moins empesée et pour le coup la fusion des divers médias « geek » aboutit à une forme réellement novatrice et inédite.  Le film est l’adaptation du manga éponyme de  Tatsuo Yoshida et surtout du dessin animé qui en fut tiré dans les années 60 qui fut très populaire aux Etats-Unis lorsqu’il y fut diffusé. L’adaptation sur grand écran envisagée de longue date s’enlisait avant que les Wachwowski s'en emparent pour le meilleur car avec James Cameron ce sont les occidentaux les plus aptes à transposer les codes de l’animation et du manga dans un langage cinématographique. Cela se vérifie dès la magistrale ouverture où en vingt minutes de pure prouesse narrative tous les enjeux du film se dévoilent.   

En tête d’une course qu’il survole de son talent, notre héros Speed Racer se mesure au record établi sur ce même circuit par son frère disparu 8 ans plus tôt. La narration effectue un va et vient entre les souvenirs qui l’assaillent, mais aussi ceux de ces parents assistant à la course ajoutés aux commentaires sportifs révélant la réalité peu reluisante des faits pour le grand public. Speed (Emile Hirsch), passionné des bolides depuis l’enfance adulait son frère Rex pilote pour l’écurie de leur père (John Goodman) mais en quittant celle-ci il se trouve mêlés aux malversations agitant en coulisse le milieu de la course et meurt tragiquement en rallye. Ayant pris à son tour le volant, Speed reçoit les offres du très douteux Royalton, patron d’un empire industriel souhaitant l’engager et sans doute faire sombrer dans la même impasse que son frère autrefois.

Speed Racer est une prouesse visuelle des plus déroutantes avec son univers kitsch et débordant de couleurs. Alors que les adaptations live de comics, bd, manga ou animation tendent à tirer leur matériau d’origine vers plus de réalisme dans leur passage au cinéma, les Wachowski jouent au contraire à fond la carte du cartoon bariolé. La force du film est que ces partis pris esthétique se font toujours à des fins narratives et dramaturgiques plus que pour l’épate. 

La course d’ouverture en est l’exemple le plus frappant en usant du principe issu des jeux vidéo de course qu’est le ghost : en pleine course pour améliorer votre chronomètre vous voyez devant l’image virtuelle de votre adversaire dont vous cherchez  à battre le temps. Ici l’effet est reproduit pour traduire le trauma de Speed hanté par le souvenir de son frère qu’il ne se résout pas à dépasser comme le montre la fin de la course où il renonce volontairement à briser le record. 

La narration très dynamique des mangas poussant la tension à son comble en pleine course est tout aussi brillamment exploitée : visages des pilotes incrusté ou en surimpression sur le décor, zoom et transition agressives pour les échanges entre eux, ce même décor qui s’estompe parfois pour isoler le pilote dans un espace mental traduisant son état d’esprit ou encore plans d’insert sur les spectateurs et commentateurs médusés par les prouesses des bolides. De manière plus ludique, le souvenir d’un Mario Kart ressurgit lors de la grande séquence du rallye de Casa Cristo avec ce circuit sinueux au décor varié semé d’embûches et surtout par les armes/pièges dont sont truffées les voitures avec des pilotes plus retors les uns que les autres(tout droit sortis d'un cartoon façon Les Fous du volant) pour se déstabiliser.

Les Wachowski ont convoqué toute l’équipe gagnante des Matrix pour ce nouveau prodige avec John Gaeta aux effets spéciaux, Kym Barett pour les costumes et David Tattersall à la photo (ainsi que Joel Silver à la production). On retrouve ainsi certain motifs de la trilogie comme ces ralentis figé décortiquant les mouvements les plus virtuose des bolides mais cette vois l’ensemble va plus loin avec une caméra d’une mobilité étourdissante virevoltant dans tous les recoins de la piste et du cockpit pour faire partager cette ivresse de la vitesse et du danger. Allié à cette débauche de couleur cela pourrait être rapidement écœurant et confus mais le découpage et le montage reprenant les effets bd précités rendent l’ensemble limpide et grisant de bout en bout.

Speed Racer constitue également un aboutissement thématique des pistes explorées dans Matrix en narrant une histoire quasi similaire. Matrix narrait la lutte d’un groupe d’humains assujettis par une entité cybernétique nébuleuse les exploitant en les endormant dans un simulacre de réalité où il n’avait plus leur libre arbitre sans le savoir. Seule l’intervention de l’Elu incarné par Keanu Reeves permettrait de rétablir l’équilibre et sauver l’humanité.

Dans Speed Racer, l’entité toute puissante est représentée par l’industriel Royalton (Roger Allam calque d'ailleurs son jeu outrancier sur celui de Hugo Weaving qui jouait L'Agent Smith grand méchant des Matrix) où le message sur ces conglomérats tout puissant et inhumain cherchant à tout absorber se fait plus clair et au lieu de la survie de la race humaine (rien que ça) Speed cherche avant tout à préserver sa famille. Une famille dépeinte avec une chaleur inattendue par les Wachowski (quand on se souvient de la froideur des Matrix notamment un troisième volet qui échouait un peu dans son pic émotionnel) et bien aidé par l’interprétation attachante de John Goodman et Susan Sarandon ainsi que le facétieux petit frère et son singe prétexte à quelques gros gags tordants.  

Cette dimension intime renforce l’empathie, que ce soit les épreuves et conflits traversés par cette famille (le deuil et le secret autour de Rex), leur interactions (superbes moments entre Emile Hirsch et Susan Sarandon, la tirade finale de John Goodman) et surtout la quête initiatique de Speed qui après avoir perdu son frère et découvert l’envers néfaste de son sport doit découvrir pourquoi il souhaite toujours courir. 

On se souvient de la fin grandiose du premier Matrix où Néo se mettait enfin à croire en sa dimension d’élu et enfin apaisé et sûr de sa force terrassait ses adversaires dans une gestuelle bien moins spectaculaire que le reste du film et pourtant plus impressionnante car empreinte de l’assurance du surhomme qu’il savait désormais être. La course finale de Speed Racer a exactement la même fonction mais avec une force évocatrice démultipliée. Cible de tous les coureurs dont il pourrait dénoncer la corruption et les liens trouble avec Royalton, Speed fonce pourtant sans peur dans les périlleux virages du circuit. Un maelstrom de mot et d’images ayant parcourus le film le montre face aux interrogations qu’il a désormais surmontées et cette assurance le rend invincible. 

Les Wachowski renforce cet aspect en apportant un lien quasi télépathique entre Speed et sa voiture, l’enjeu de la simple victoire finale est transcendé par l’expression visuelle et sensorielle de la plénitude de Speed et les réalisateurs osent une envolée psychédélique façon 2001 l’odyssée de l’espace pour signifier son envol  loin de ses adversaires, de ses doutes, sans égal… La transe et l’état de grâce du sportif aura rarement été aussi bien traduit que dans cette phénoménale montée épique virant à l'abstraction pop art (et rejoignant une réflexion de la mère évoquant une création artistique dans les prouesse de Speed).

Les Wachowski  réalisent là leur chef d’œuvre mais par son imagerie acidulée Speed Racer sera moins pris au sérieux que Matrix (c’est l’air du temps il faut du réalisme, un ton empesé et une dimension sombre forcée pour être crédible voir le succès de Nolan ou le virage des dernier James Bond) et ce vrai film ambitieux et familial sera un bide retentissant. A défaut du grand film populaire qu'il visait être, Speed Racer à toutes les allures du film culte.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

Extrait de la course finale

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