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mardi 21 avril 2015

Crimes et Délits - Crimes and Misdemeanors, Woody Allen (1989)


Ophtalmologue réputé et vieillissant, Judah Rosenthal cache à sa femme Miriam sa liaison avec Dolores, dont il supporte de moins en moins les exigences. Cliff Stern est un documentariste sous-employé, dont les quatre beaux-frères connaissent une carrière brillante. Alors qu'il entreprend un documentaire sur Lester, l'un d'entre eux, son destin croise celui de Judah...

Woody Allen signe là sa variation toute personnelle et caustique du Crime et Châtiment de Dostoïevski. Le conflit moral de Dostoïevski se divisera en deux chez le réalisateur, une variante ouvertement dramatique et l’autre plus légère questionnant à chaque fois les idéaux des protagonistes. D’un côté nous avons Judah Rosenthal (Martin Landau) brillant ophtalmologue, père de famille heureux et éminence de sa communauté. Il entretient pourtant depuis de plusieurs années une liaison avec Dolores (Anjelica Huston), une maîtresse névrosée se faisant de plus en plus pressante et menaçant de tout révéler à sa femme. Son univers manque ainsi de s’effondrer d’autant que Dolores est au courant de certaines de ses opérations financières douteuses. Deux choix s’offrent à lui, la franchise et tout avouer à son épouse ou un autre plus radical pour lequel son frère Jack (Jerry Orbach) aux relations douteuses, pourrait l’aider à sa manière.

Versant plus léger nous auront Cliff (Woody Allen) réalisateur idéaliste de documentaire sans travail et malheureux dans son mariage. Une promesse de jours meilleurs s’offre à lui lorsqu’il devra faire le portrait flatteur de son beau-frère Lester (Alan Alda) affreux producteurs cynique et arriviste totalement à l’opposé de ses idéaux. Là aussi l’argent et les opportunités professionnelles en vue s’opposeront à la conscience artistique de Cliff, d’autant plus quand il tombera amoureux de sa productrice Halley (Mia Farrow) que Lester poursuit de ses assiduités. 

Le Raskolnikov de Dostoïevski se voit ainsi revisité dans son conflit moral à travers les deux situations, Judah représentant le versant criminel et celui du remord tandis que Cliff évoquera lui l’ambition et la quête d’élévation sociale. On prend au départ plus au sérieux la dimension existentialiste des mésaventures de Judah (magnifiquement interprété par un Martin Landau fébrile) qui poussé à bout va commettre l’irréparable. Le remord fait ainsi ressurgir l’éducation religieuse qu’il a toujours reniée, le poussant à une introspection permettant à Allen de déployer une magnifique scène onirique où plane l’ombre de son mentor Ingmar Bergman. Le flashback dans sa maison d’enfance rappellera donc à Judah ce conflit vivace entre conscience et cynisme, l’idée reprenant une séquence identique dans Les Fraises sauvages (1957). 

Le personnage perd pied, hanté par ce qu’il a commis mais finalement ce rongement intérieur relève plus de la peur superstitieuse du divin que d’une vraie culpabilité. Le temps passant et l’absence de conséquence de ses actes avec, il s’en accommodera pour poursuivre sa vie avec plaisir. Une issue qui annonce le mémorable Match Point (2005) et contredit la rédemption présente chez Dostoïevski qui pouvait naître par l’amour. Le cynisme contemporain et la fin des utopies religieuses (le gangster et le rabbin constituant les anges et démons guidant les sentiments de Judah, explicite dans une scène clé) semblent pourtant rendre une telle issue impossible pour un Woody Allen désabusé.

Le réalisateur croit pourtant en la droiture et à compassion de l’humain à travers le personnage de Cliff. Risquant finalement peu et pouvant gagner énormément en cédant à l’arrivisme, Cliff s’aliène pourtant son entourage en ne bafouant pas ses idéaux. Le sérieux de l’intrigue de Judah nous amenait vers un constat ironique tandis que de la légèreté de la trame de Cliff (baigné de cet humour juif qui est à la fois le plus drôle et le plus désespéré) nait finalement le vrai drame du récit. La carrière et l’amour se dérobe à celui qui aura su rester juste, la conclusion nous offrant une séquence magnifique lorsque Cliff recroise Halley après leur longue séparation. 

L’interprétation est d’ailleurs complexe quant à cette conclusion. La sens moral ne naît plus d’une destinée guidée par une force supérieure dont on doute désormais de l’existence, empêchant du coup une conclusion « juste » façon Une place au soleil (1951) que Allen revisitera à rebours dans Match Point. Seul compte l’individu et sa conscience propre mais la vertu le condamnera alors à la solitude. Un des très grands Woody Allen. 

Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

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