Pages

jeudi 7 décembre 2017

Le Génie du mal - Compulsion, Richard Fleischer (1959)


Chicago 1924. Deux jeunes étudiants, Judd Steiner et Arthur Straus, commettent un crime inexplicable, motivé par la conviction de leur supériorité intellectuelle et sociale sur le monde et entraînés par l'étrange relation qui les unit. Ils sont persuadés d'avoir commis le crime parfait, mais un détail les trahit. Risquant la peine de mort, ils sont défendus par un célèbre avocat, Jonathan Wilk.

Dans la carrière touche à tout de Richard Fleischer, l’une des rares thématiques récurrentes concernera l’exploration de la figure du serial-killer. Chaque approche de Fleischer se montre originale et singulière, donnant pour le plus classique et efficace dans le pur film noir (Assassin sans visage (1949)), le thriller (Terreur aveugle (1972)) puis dans le plus stylisé (L’étrangleurde Boston (1968) et clinique (L’étrangleurde la place Rilington (1971). A travers ces traitements très différents Fleischer oscille entre approche frontal où le tueur est une menace invisible et terrifiante (Assassin sans visage et Terreur aveugle) et une autre plus trouble, où l’angoisse naît d’une exploration psychologique entretenant pour le spectateur une inconfortable proximité avec cette figure du mal (L’étrangleur de Boston et L’étrangleur de la place Rilington). Compulsion se situe dans cette seconde veine, d’autant qu’il inaugure les transpositions de vrais faits divers pour Richard Fleischer. Le film illustre ainsi le même crime qui inspira La Corde (1948) à Alfred Hitchcock, lorsqu’en 1924 les étudiants Leopold et Loeb assassinèrent froidement un jeune adolescent par pure démonstration de leur supériorité intellectuelle avec un crime parfait. Hitchcock tout en conservant ce thème en avait surtout fait un exercice de style technique avec un film entièrement en plan-séquence, cette distance étant permise du fait qu’il adaptait la pièce Rope's Play de Patrick Hamilton inspirée des faits réels. Fleischer se base lui sur le roman Crime de Meyer Levin qui avait suivi de près les évènements.

L’approche de Compulsion s’équilibre entre une facette psychologique dans la première partie puis plus judiciaire dans la seconde. On s’attarde d’abord sur la relation dominant/dominé entre Judd (Dean Stokwell) et Artie (Bradford Dillman), dangereusement attirés par la réalisation d’un meurtre et grimpant graduellement dans les larcins jusqu’à l’irréparable. Cet attrait du mal se manifeste différemment pour chacun d’eux. L’assurance et une nature extravertie témoigne du complexe de supériorité d’Artie, la logorrhée étant la surface la plus visible d’un passage à l’acte imminent puis de son assouvissement. Judd au contraire exprime cet égo de façon plus contenue et froide, sur une base plus intellectuelle (la joute verbale avec le professeur sur Niszche) mais se montrera plus vulnérable dans l’intime. Artie croit en sa supériorité, est fier de son milieu nanti et extériorise ce sentiment par ses attitudes jamais éloignée de la démence à l’image de la scène d’ouverture où il manque d’écraser un ivrogne en voiture. 

Son sourire carnassier s’oppose ainsi à la présence craintive de Judd dont l’attirance homosexuelle est évoquée de manière sous-jacente dans les dialogues mais surtout dans son attitude et sa dépendance/soumission à son camarade pour franchir le pas criminel. C’est vraiment cet aspect qui intéresse Fleischer, le film se caractérisant par une totale absence de suspense et notamment en ne montrant pas le meurtre du duo. Ce sont les failles psychologiques habilement développées qui perdent les criminels en herbe. Judd fébrile laisse des indices qui feront remonter la piste aux enquêteurs quand Artie trop confiant joue un jeu amical dangereux avec les journalistes auxquels il suggère de fausse piste. L’égocentrisme et la fragilité forment un fissurant l’égo des meurtriers rattrapés par leurs actes dans un déroulement remarquable.

La seconde partie fait donc intervenir Orson Welles en avocat chevronné en charge de leur éviter la peine de mort. Le propos humaniste et social du personnage permet de mettre en valeur tout le charisme et l’éloquence d’Orson Welles pour un constat magistral. Au même titre que des origines pauvres peuvent guider plus facilement vers un destin criminel, un milieu nanti est susceptible de façonner des profils psychologiques instables. Judd tourne mal par rejet de ses origines quand celles-ci confortent Artie dans son sentiment d’impunité. 

Ce n'est pas en se basant sur les accusés que la plaidoirie tente de tempérer leur sentence, mais en questionnant les bas-instincts de l’accusation qui en se croyant supérieures cette fois moralement exige la peine de mort. La réflexion est passionnante, filmée avec sobriété par Fleischer et magnifiquement interprétée par Welles. Fleischer pose déjà ce regard singulier sur le mal qu’on trouvera dans L’étrangleur de Boston et L’étrangleur de la place Rilington, partagé entre le recul inquiet de celui qui l’observe et la folie de celui qui l’exécute. 

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Rimini


4 commentaires:

  1. Encore une des grandes réussites de Fleischer, passionnant par la minutie de sa reconstitution qui reste pourtant toujours intensément cinématographique et pas documentaire. Vu qu'une fois, mais j'en conserve une impression vraiment durable, jusqu'au morceau de bravoure final de la plaidoirie d'un Welles au sommet. On comprend pourquoi ce fait divers a ainsi pu si souvent fasciner les réalisateur (jusqu'à Barbet Schroeder). Mais c'est vrai que Fleischer s'est régulièrement distingué dans ce genre, qu'il aborde dès La Fille sur la balançoire.

    E.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour Barbet Schroeder tu parles de "Calculs meurtriers" ? Bien vu très bon film je n'avais pas fait le rapprochement (et pas vu le Hitchock ni le Fleischer à sa sortie) mais oui c'est exactement le même sujet. Un fait divers inspirant effectivement !

      Supprimer
  2. Oui, bon "Calculs meurtriers" rabaisse un peu vite ses prétentions et reste plutôt au niveau de son "JF partagerait appartement".

    Et là je suis en train de reconsidérer ta personne : tu aurais l'âge de quelqu'un susceptible d'avoir vu "The rope" à sa sortie ????

    E.

    RépondreSupprimer
  3. Lol non je me suis mal exprimé je voulais dire que quand j'ai découvert le Schroeder en salle je n'avais pas encore vu La Corde et Le Génie du mal ^^ Pas encore immortel !

    RépondreSupprimer