A l'âge de treize ans,
une future sorcière doit partir faire son apprentissage dans une ville inconnue
durant un an. Une expérience que va vivre la jeune et espiègle Kiki aux côtés
de Osono, une gentille boulangère qui lui propose un emploi de livreuse.
Kiki la petite
sorcière constitue une phase importante dans la filmographie d’Hayao
Miyazaki. La première partie de carrière du réalisateur se place sous le signe
de la grande aventure à travers sa série Conan
le fils du futur, la réalisation du film Le Château de Cagliostro (1979) et sa participation à l’adaptation
télévisée de Sherlock Holmes.
Lorsqu’il aura enfin la possibilité de réaliser des œuvres vraiment
personnelles grâce à la fondation du studio Ghibli, Miyazaki fondra pleinement
cette quête de l’épique à ses thèmes de prédilection dans Nausicaä de la vallée du vent (1984) et surtout l’aboutissement que
sera Le Château dans le ciel (1986).
Dès lors le réalisateur allait creuser un sillon parallèle dans son œuvre où au
récit épique échevelé s’ajouterait une veine plus sobre notamment avec Mon voisin Totoro (1988) et donc Kiki la petite sorcière. Le merveilleux
n’y sert plus une emphase spectaculaire mais des préoccupations plus
intimistes, que ce soit entre autres l’absence et le deuil (réminiscence de
l’enfance du réalisateur et du rapport à sa mère) pour Totoro ou du passage de l’enfance à l’âge adulte dans Kiki.
Le film adapte un livre pour enfant japonais d’Eiko Kadono
paru en 1985. D’abord accaparé par la production de Mon voisin Totoro, Miyazaki délègue le scénario et la mise en scène
à ses deux protégés Sunao Katabuchi (futur réalisateur du récent et somptueux Dans un recoin du monde (2016)) et Nobuyuki
Isshiki mais – prémisses des futurs problèmes du studio – peu satisfait décide
de reprendre tout leur travail à zéro pour signer lui-même le film. La série de
changements que fait Miyazaki au roman dans son script tend à contredire le
postulat merveilleux pour l’inscrire dans une certaine réalité. L’apprentie
sorcière Kiki quitte ainsi selon le rituel son foyer à l’âge de treize ans pour
vivre un an en indépendance. Le roman d’Eiko Kadono se déroule sur cette année
entière en abordant des évènements épars sur un ton léger alors que Miyazaki
restreint son récit au premier été de Kiki dans sa nouvelle vie et mets l’accent
sur toutes les difficultés intimes comme matérielles pouvant se poser à cette
autonomie.
Cette phase va ainsi du trivial mais si universel (Miyazaki
s’inspire grandement des jeunes animatrices officiant à Ghibli et vivant ce
déracinement) dès les premiers pas de Kiki dans cette ville inconnue, son
allant « provincial » se confrontant à l’indifférence urbaine
ordinaire lorsque les passants - la curiosité de voir une sorcière sur son
balai n’a qu’un temps dans cet univers où le merveilleux est naturellement
accepté – ignorent ses saluts. Même les gags sont au service de cette idée
quand Kiki se confronte aux remous de la circulation sur son balai. Sa
singularité est désormais source d’une curiosité à laquelle elle ne sait
comment réagir notamment avec le jeune Tombo (modèle physique et dans la
caractérisation du futur Jean de la série Nadia
et le secret de l’eau bleue dont Miyazaki fut l’initiateur avant de laisser
l’idée au studio Gainax) fasciné par sa faculté de voler.
Pour résumer, notre
héroïne passe du statut de fillette libre de sa fantaisie (signifiée par la
magie) à l’adolescente/adulte consciente du rapport au monde qui l’entoure
et au regard que celui-ci porte sur elle. Une scène nous aura préparé à cela
lorsque Kiki rencontre une autre jeune sorcière de retour de son année
d’initiation et dont la pédanterie lui fait prendre conscience de ses manques -
à part voler elle n’a aucune spécialité magique -, la situe face à « l’autre »
et met à mal sa confiance.Tout le film est ainsi constitué de petites épreuves que
Kiki surmonte tant dans la débrouillardise ordinaire – monter un commerce de
livraison grâce à ses pouvoir de voltige, gérer un budget – que dans son
interaction aux autres.
Miyazaki s’attarde longuement dans une tonalité
tragicomique sur les embûches se posant à chaque mission de livraison pour un
apprentissage rigoureux du monde du travail (l’épisode du chat Jiji abandonné
pour donner le change, particulièrement savoureux) et la difficulté à le
concilier à une vie personnelle, à l’insouciance initiale. Tout en célébrant
les vertus du travail par lequel passe l’émancipation, Miyazaki fustige aussi
une forme d’apathie urbaine où l’individu ne se résumerait plus que par sa
tâche. Epanouie et pleine d’allant dans son métier (la belle scène où elle
aidera une vieille dame à réparer son four) et face aux adultes, Kiki semble
plus complexée avec les jeunes de son âge dont elle fuit la compagnie. Partagée
entre ses élans de jeune adulte en construction et la légèreté/confiance
inhérente à tout lien d’amitié à l’autre, Kiki va ainsi perdre pied.
Tous ces questionnements se fondent de façon limpide dans la
narration et Miyazaki brille à les traduire par des motifs purement formels. La
ville est un mélange saisissant de détail entre cité méditerranéennes comme
Naples avec d’autres nordiques comme Stockholm (principalement inspiration et
visitée par Miyazaki et ses équipes avant le tournage), la confrontation de
Kiki avec un réel tangible servant d’autant plus sa perte de repères avant de
s’affirmer dans les rapports humains difficile.
La mise en scène en joue aussi
notamment dans les scènes de vol, tout en cadrage dynamique et animation fluide
(les mouvements de la robe de Kiki impressionnants) en début de film tandis que
lorsque le spleen et la solitude s’installe, les phases aériennes se font plus
lentes – la lourdeur de l’avancée se conjuguant à celle du moral déclinant de
Kiki appuyé par une météo pluvieuse. Cette notion se prolonge jusqu’à faire
perdre son pouvoir de vol à la jeune fille déboussolée qui devra reprendre
confiance en elle. Miyazaki capture les tourments de l’adolescence avec une
rare acuité et procède de façon inversée au futur Le Voyage de Chihiro (où la maturité passe par le réveil d’une
héroïne léthargique) avec une héroïne bondissante dont les doutes de la
solitude urbaine réfrènent l’élan.
Le récit sans vrai méchant ni conflit peut néanmoins se
résoudre dans un final spectaculaire où Miyazaki peut laisser éclater son goût
pour les morceaux de bravoure aériens. Kiki
la petite sorcière sera le premier vrai succès commercial du studio Ghibli
(Mon voisin Totoro en étant un sur la
longueur grâce aux produits dérivés, Le
Château dans le ciel et Le Tombeau des
lucioles (1988) surtout des succès critiques) et qui permettra une
vraie pérennité après un fonctionnement jusque-là assez précaire. Reste une des
héroïnes les plus iconiques (les cosplays inspirés de sa tenue son légion) et
attachante du studio et la grande réussite du Miyazaki introspectif.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Buena Vista
Hello Justin. D'accord avec toi, un grand film, délicat et subtil.
RépondreSupprimer