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lundi 9 juillet 2018

Le Rôdeur - The Prowler, Joseph Losey (1951)

Une jeune femme, Susan Gilvray, surprend un rôdeur en train de l'observer par la fenêtre de sa salle de bains. Effrayée, elle appelle la police : deux officiers viennent alors effectuer une ronde dans son quartier. L'un des deux, Webb Garwood, entreprend alors de séduire Susan. Devenu l'amant de la jeune femme, le policier élabore un plan d'une grande perversité pour se débarrasser de son époux et empocher l'assurance-vie.

Le Rôdeur est un des sommets de la brève carrière américaine de Joseph Losey. A première vue on peine à déceler l’originalité et la noirceur de sa célébrée période britannique dans un script qui semble archétypal du film noir et vague ersatz du Assurance sur la mort de Billy Wilder (1944). Le projet est initié par John Huston qui rachète les droits d’une histoire de Robert Thoeren afin de renflouer avec une production à bas coût sa compagnie de production dans le rouge après l’échec de We were strangers (1949). Evelyne Keyes, épouse de Huston et sympathisante communiste suggère alors le nom de Joseph Losey pour réaliser le film où elle tiendra la vedette. A cela va s’ajouter un Dalton Trumbo déjà blacklisté en besoin de liquidité qui va prendre en charge le script. Une bonne part de la noirceur et provocation du film doit beaucoup à sa plume.

 Le Rôdeur est une critique corrosive de l’American Way of Life où toute la différence avec les archétypes du film noir se fait dans la caractérisation des personnages. Susan (Evelyne Keyes) et Webb (Van Heflin) ont en commun leurs origines provinciales, leurs rêves déçus et leur quotidien terne. Quand Susan aura échoué dans sa carrière d’actrice et fini dans un mariage solitaire et sans enfant, Webb a lui renoncé à son rêve de réussite sociale en échouant à l’université pour mener une existence de flic qui le mine. Les deux personnages sont donc consciemment (Webb) ou pas (Susan) en attente de quelqu’un ou de quelque chose qui les feraient échapper à leurs destinées gâchées. Ce sont des éléments qui se devinent de façon presque subliminale après coup notamment dans la scène d’ouverture. Ainsi Susan ne provoque- t- elle pas volontairement une réaction en s’exposant en serviette au regard du rôdeur, et ce dernier ne pourrait-il déjà pas être Webb qui fera preuve d’une aisance étonnante quand il viendra observer les lieux en uniforme de flic ? 

Tous ces éléments sous-jacents se confirmeront lorsque les personnages se rapprocheront pour nouer une liaison adultère. L’ambiguïté intervient quand on comprend que pour combler pleinement leur frustrations (sociales, sexuelles, financières), cette liaison doit aboutir à la mort de l’époux gênant de Susan. Là encore la finesse est de mise puisque cet assouvissement immoral sera concret dans la manœuvre criminelle de Webb et tacitement « admis » par Susan qui ferme les yeux sur les ambiguïtés du discours de son amant (notamment lorsqu’elle feint de ne pas le reconnaître durant la scène de procès). L’interprétation est magistrale avec un Van Heflin qui teinte son emploi habituel de Monsieur tout le monde d’une noirceur qui provoque l’empathie pour Webb réduit à un désespoir criminel pour échapper à la médiocrité. Evelyne Keyes dégage quant à elle une sensualité angoissée de tous les instants, à la fois victime et complice (tout le personnage repose là dessus, notamment les scènes d'amour où la morale se dispute au désir) du drame en marche.

Joseph Losey excelle à observer toute cette part d’ombre et anticipe déjà tout le regard désabusé de sa période anglaise sur la nature humaine. Le plan-séquence en plongée lors de la scène de mariage semble déjà fixer un regard inquisiteur divin et funeste sur le couple et le final dans la ville fantôme les mets à nu. Les bruits du vent puis les voix d’outre-tombe les expose à leur culpabilité, quand leur propres voix ne les trahissent pas avec l’aveu pécuniaire glaçant et désespéré de van Heflin. Joseph Losey observe la médiocrité ordinaire et les extrémités auxquelles sont conduits les rejetés de l’American Way of Life. La force du film est de tenir un équilibre ténu entre critique cinglante et regard presque apitoyés sur des héros qui court à leur perte. 

 Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

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