Sonoko, issue d'une
riche famille bourgeoise, est mariée à un grand avocat. Ne sachant comment
occuper ses journées, elle décide de prendre des cours de dessin à
l'université. C'est là qu'elle rencontre Mitsuko qui devient secrètement sa
muse et bientôt son amante. Bravant moeurs et mari, Sonoko est prête aux pires
extrêmes pour garder Mistuko auprès d'elle. Mais la belle Mitsuko joue
peut-être un double jeu avec Eijiro, son amant. C¹est alors que doutes et
machinations diverses entrent en jeu.
Deux ans avant le plus célèbre Tatouage (1966) Yasuzo Masumura adaptait déjà un roman de Jun'ichirō
Tanizaki avec ce Passion. L’univers
de l’auteur se fond bien au romantisme morbide, aliénant et marqué par le destin
de Masumura. Dès le départ la romance tient ainsi de l’inconscient et de l’obsession
lorsque l’épouse bourgeoise Sonoko (Kyôko Kishida) peint les traits de Mitsuko
(Ayako Wakao) camarade de cours de dessin, à la place du modèle de l’exercice
en cours. En faisant comprendre la passion de Sonoko par cette obsession (et
homosexualité) inconsciente avant la vraie rencontre avec Mitsuko, Masumura
tisse déjà la relation dominant/dominé à venir. Le rapprochement entre Mitsuko
et Sonoko ne frappe pas particulièrement par son traitement formel (élégant et
sobre) d’une relation lesbienne, ni même par l’expression intense d’une
attirance mutuelle, mais surtout par la soumission violente qui s’impose à
Sonoko à travers son désir dévorant.
Ce désir revêt une dimension funeste et
psychanalytique qui annonce Tatouage
et La Bête aveugle (1969). Le courage
et le défi aux mœurs que constitue cette passion interdite importe moins que
cette facette soumise, renforcée par le jeu intense et suppliant de Kyôko
Kishida et celui, chargé de sadisme et de duplicité de Ayako Wakao. Le
découpage et les cadrages de Masumura lors des (finalement rares) scènes d’amour
recherche toujours les réactions plus ou moins mesurés de Sonoko dont la retenue
bourgeoise vole progressivement en éclat. Le réalisateur étend ce type de
rapport à l’ensemble des protagonistes du film, dépassant l’aspect social
inhérent au Japon qu’on aurait pu y trouver. Sonoko défie ainsi le machisme de
la société japonaise en vivant sa romance au grand jour mais impose une
supériorité de classe envers son époux (Eiji Funakoshi) qui ne peut exprimer
cette autorité masculine attendue. De même Mitsuko tout en manipulant Sonoko
subit elle-même les foudres d’un amant jaloux (Yûsuke Kawazu).
La dimension
charnelle n’a pas réellement sa place, seul compte le fait de plier l’autre à
sa volonté à coup de chantage, de pacte douteux et de mensonges. Masumura l’exprime
dans l’intrigue mais aussi dans le flou moral qu’amènent les scènes d’empoisonnement.
Mitsuko et Sonoko n’y ont pas recours pour mourir ensemble, mais pour soumettre
l’époux par cette démonstration de force. Lorsque cet artifice sera de nouveau
utilisé à la fin du film, ce sera pour les éléments « faibles » du
triangle amoureux de prouver qu’ils sont plus aimants et donc assujettis à la
domination de Mitsuko. C’est par cette dernière que passe l’aspect névrotique
mais également mystique des rapports humains distordus du film, notamment par l’association
à une déité de l’amour indifférente si ce n’est aux sacrifices de ses
adorateurs.
Visuellement Masumura tisse dans un premier temps une
imagerie romantique chatoyante factice où l’on peut voir les dérives à venir. La
vaporeuse et onirique scène d’empoisonnement amène une perte de repère
formelle, temporelle et morale où le monde extérieur n’existe plus. On comprend
la sobriété de la facette sexuelle par Masumura qui nous guide vers une
dernière partie où la défiance, la jalousie et le rapport de force sont les
éléments sur lesquels repose cette passion. La photo de Setsuo Kobayashi le
traduit avec subtilité dans les teintes grise et claustrophobe de l’appartement,
mais aussi par la manière d’exclure un élément du triangle amoureux. L’issue
finale se devine ainsi par la seule finesse de colorer légèrement un visage
dans un plan d’ensemble ou tous les personnages sont supposés être
inconscients. Vénéneux et tout en retenue, Passion est une réussite envoutante.
Sorti en dvd zone 2 français chez Zootrope Films
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