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samedi 15 décembre 2018

La Belle et le Clochard - Lady and the Tramp, Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske (1955)



Jim et sa femme, Darling vivent dans une belle maison d'une petite ville tranquille de la Nouvelle-Angleterre en compagnie de leur chienne : Lady, elle-même entourée de ses amis Jock et César. Cette joyeuse famille se voit bien vite comblée par l'arrivée d'un bébé. Tout se passe à merveille jusqu'au jour où, devant s'absenter quelques jours, les nouveaux parents confient toute leur petite famille à la garde de leur vieille tante Sarah et de ses deux terribles chats siamois. Lady s'enfuit de la maison et se retrouve dans la rue, livrée à elle-même. Menacée par des chiens errants, elle est sauvée, in extremis, par l'arrivée d'un chien bâtard répondant au curieux nom de Clochard...

La Belle et le Clochard est un des rares films de l’âge d’or de Walt Disney à être un scénario original, non issu d’un conte traditionnel ou d’un roman pour la jeunesse. L’idée initiale vient de Joe Grant, dessinateur engagé par Disney au début des années 30 pour ses talents de caricaturiste. Il devient rapidement un des hommes-clé de Walt Disney qui lui confie notamment la conception de la Reine dans Blanche Neige et les Sept Nains (1937) et l’associe également au développement de Fantasia (1940), Pinocchio (1940) et Dumbo (1941). Joe Grant possède un cocker américain nommé Lady qu’apercevra Walt Disney lors d’une visite, et lui donne l’envie d’un récit canin. Joe Grant est ainsi mis à contribution pour une première mouture du scénario où se trouvent déjà le sentiment d’abandon de Lady au profit du nouveau-né de la famille, les chats sournois antagonistes et un triangle amoureux avec un chien errant et un autre plus distingué. Le projet lancé en 1936 s’enlise peu à peu, à la fois face à l’exigence de Walt Disney – peu convaincu par l’aspect uniquement charmeur et minaudier de Lady, ce qui figera l’ajout de Clochard qui donne un pendant moins lisse à l'héroïne – mais aussi par les contraintes économiques de la Seconde Guerre Mondiale qui forcent le studio à se restreindre à des productions plus modestes. 

Le succès de Cendrillon (1950) signe le grand retour au long-métrage et le développement de La Belle et le Clochard est relancé. Entretemps Joe Grant a quitté le studio en 1949 après une brouille avec Walt Disney – il n’y reviendra qu’en 1989 et contribuera largement au second âge d’or de Disney des années 90 -  et ce dernier va concevoir un storytelling mensonger qui efface le rôle de Grant quant aux origines du film. C’est donc un chiot offert dans une boite par Disney à son épouse qui lui aurait inspiré l’histoire. En 1943 l’auteur Ward Green publie dans la revue Cosmopolitan la nouvelle Happy Dan, the Whistling Dog and Miss Patsy, the Beautiful Spaniel où Disney voit les derniers éléments manquants à l’équilibre de La Belle et le Clochard. Il en rachète les droits, le script final étant une fusion des approches de Joe Grant et Ward Green bien que seul le second sera crédité au générique.

La Belle et le Clochard sort précisément à l’époque où Walt Disney commence à se désintéresser de l’animation pour les parcs d’attractions. Un mois sépare d’ailleurs la première nationale du film (le 16 juin 1955) de l’inauguration du premier Disneyland (le 17 juillet 1955). En bien des points le cadre du film représente donc déjà cette Amérique bucolique, fantasmée et provinciale qui constituera l’imagerie des parcs Disney. L’esthétique générale entremêle esthétique rétro inspirée de la ville de Marceline dans le Missouri (où Walt Disney passa une partie de son enfance et qui le marqua profondément) avec une imagerie chatoyante inspirée des œuvres de Norman Rockwell. Un vrai réalisme (les réminiscences avec la vraie ville de Marceline sont multiples tout au long du film) se croise ainsi à une forme de parenthèse enchantée, de paradis perdu où la modernité n’a pas encore pris place. Les visions féériques telles l’ouverture en plan d’ensemble enneigé se conjuguent ainsi à un « réalisme » chaleureux tant dans la description du quartier pavillonnaire paisible et bourgeois que pour les intérieurs baignés de couleurs vives.

C’est le cocon où évolue Lady,  jeune et fière chienne cocker. La caractérisation des chiens (les humains restent largement en retrait) bénéficient du long travail d’observation des animateurs  Milt Kahl, Ollie Johnston et Frank Thomas où le réalisme du mouvement s’associe à une expressivité typique du cinéma d’animation (les grands yeux et attitudes maniérées de Lady) et un anthropomorphisme qui reste bien dosé (la scène où Clochard mime les réactions humaines qui excluront les chiens du foyer). La dimension dramatique du récit bouscule largement moins le spectateur que les atmosphères baroques, la noirceur et certains rebondissements traumatisants des premiers long-métrages du studio. Seul l’affrontement final avec un rat menaçant le bébé, tout en mouvement heurtés et jeu de lumières expressionnistes, offre un vrai moment de frayeur et d’inquiétude. Les autres écarts possibles sont atténués par les choix de mise en scène - le combat de Clochard contre les chiens errants ainsi que l’évocation du sort des chiens de fourrière, en jeu d’ombre évocateurs – ou une édulcoration malheureuse avec la mort de Trusty (César) effacée dans la dernière scène alors qu’elle rendait le personnage d’autant plus touchant.

C’est donc dans l’atmosphère romantique et bienveillante que reposent le charme et les limites du film. La fameuse scène du repas de spaghetti offre un cultissime et cocasse moment amoureux avec son baiser maladroit. Mais on doit le grand moment à l’animateur Eyvind Earle dont la direction artistique et l’usage du cinémascope (adopté par Disney grâce à Richard Fleischer qui après la réussite live de Vingt mille lieues sous les mers convainc le studio de l’appliquer à ses films d’animation) magnifie une majestueuse nuit étoilée dans un parc que surplombe les silhouettes de Lady et Clochard – et un audacieux fondu au noir faisant réfléchir au spectateur adulte aux suite de la soirée. C’est un de ses premiers travaux pour Disney avant les merveilles à venir dans La Belle au bois dormant (1959). La Belle et le Clochard par sa volonté de bien-être inhérente à la nouvelle orientation Disney définit ainsi la morale et l’aseptisation en cours (le message rétrograde qui privilégie la vie domestique à l’évasion avec Clochard) même si une certaine inventivité (notamment musicale avec un beau numéro de Peggy Lee dans la fourrière) maintient le charme.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Disney

2 commentaires:

  1. Tes captures rendent bien justice au raffinement visuel du film, mais qu'est-ce que j'avais été déçu par la maigreur de son intrigue en le revoyant il y a peu !

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    1. Oui revoyure un peu décevante pour moi aussi en grande partie pour l'intrigue rachitique également...

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