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mardi 12 mars 2019

Accords et désaccords - Sweet and Lowdown, Woody Allen (1999)


Emmet Ray est, comme il le prétend, "le plus grand guitariste de jazz au monde... apres Django Reinhardt". Maquereau à ses heures perdues pour arrondir ses fins de mois, misogyne et égocentrique, Emmet est malgré tout un génie. Il vit pour sa musique et détruit tout ce qui peut l'éloigner de son art. Emmet Ray ne vécut son heure de gloire que durant une courte période et ne resta connu que par les aficionados du genre. Woody Allen rend, à travers ce film, hommage à la musique qu'il aime tant, celle du jazz.

Accords et désaccords est une œuvre chère à Woody Allen où il peut exprimer son amour du jazz. Preuve de cet attachement, le projet mis trois décennies à se faire puisqu’il devait initialement être le premier film du partenariat d’Allen avec la United Artist. Encore trop rattaché à une pure image comique, Allen préférera mettre en sommeil le film puisque le studio réclamait une pure comédie, loin du film mélancolique qu’il avait en tête. Doté d’un tout autre statut à la fin des années 90 le réalisateur peut enfin raconter cette histoire comme il l’entend.

Nous ne sommes pas en terrain inconnu au niveau de la structure avec ce faux biopic entrecoupé de commentaires d’experts sur la vie du musicien fictif Emmet Ray (Sean Penn). C’est un schéma repris  entre autres des excellents Annie Hall (1977), Zelig (1983) ou encore Broadway Danny Rose (1984). On suit donc le parcours du guitariste Emmet Ray dont le génie n’est réellement visible que quand il daigne monter sur scène. En attendant et notamment lors de la scène d’ouverture il faut deviser avec l’homme peu recommandable, gentiment narcissique, dépensier, coureur, kleptomane et proxénète à ses heures perdues. Ce qui l’empêche d’être détestable est l’interprétation de Sean Penn qui fait des excès de cet homme une manière de dissimuler ses émotions. Le fil rouge de cet idée est la manière dont après chaque autocongratulation sur son génie musical, Emmet précise qu’il est le meilleur guitariste du monde « après » Django Reinhardt, idole absolue face auquel il fait un complexe (leurs rencontres imaginaires s’étant soldées par un évanouissement d’Emmet impressionné). 

 Le génie musical ne peut totalement s’épanouir à cause de cette dichotomie entre la forfanterie forcée du héros et une vulnérabilité dont il n’arrive pas à imprégner sa musique.  L’homme cassé et le musicien brillant ne forme jamais un tout à l’image de cette tentative d’entrée sur scène flamboyante sur une demi-lune qui tourne court car Emmet sera comme effrayé par cet esquisse de grandeur. Du coup il ne profite que des à-côtés tapageurs de sa notoriété avec ses diverses conquêtes féminines, les fringues de luxe et les voitures derniers cris. Du coup il se doit de ramener chaque rencontre amoureuse à son « moi » le plus minable et pathétique, parfois pour un résultat aussi touchant qu’incongru (sa marotte de tirer au révolver sur des rats ou encore de regarder défiler les trains) et d’autres pour une goujaterie minable.

 Sa part d’humanité peut s’exprimer dans la romance avec la muette Hattie (magnifique Samantha Morton) où face au regard aimant et les silences de celle-ci, le baratin habituel des amantes d’un soir n’a plus court. Les forfanteries se font plus maladroites et touchantes, exprimant paradoxalement l’amour qu’il n’ose déclarer explicitement à Hattie mais qu’elle sait bien déceler (la jolie scène où elle lui offre un cadeau). C’est donc tout naturel que la séparation ne soit pas filmée et résulte d’une fuite lâche d’Emmet qui n’aurait pu s’y résoudre en face à face. A l’inverse la tempétueuse Blanche (Uma Thurman) exacerbe toute la personnalité excentrique d’Emmet, moins intéressée par l’homme que par son aura tapageuse qui sera un objet de séduction et d’étude (avant de trouver un spécimen plus imprévisible et dangereux que lui). 

 Dès lors l’aisance scénique d’Emmet est désincarnée et étudiée dans ses environnements de prédilections que sont les clubs de jazz, et étale réellement son brio quand il n’est pas attendu et peut être lui-même dans la scène où il s’incruste dans un concours provincial amateur. Ce panache superficiel se conjugue donc à sa personnalité et son refus d’enregistrer sa musique puisque sorti de sa virtuosité il n’a (ou surtout n’ose pas) d’émotion à offrir. Il faudra une magnifique conclusion où par une déclaration masquée en vantardise dont il a le secret, il revienne puis soit rejeté par celle qu’il n’aurait jamais dû abandonner. Dès lors le retour final au clinquant n’a plus lieu d’être, ses émotions à vif ne se marient plus à la superficialité de sa renommée. Les commentaires nous affirment qu’il a enregistré sa meilleure musique dans la foulée de cette déconvenue, mais c’est l’homme brisé plutôt que le génie que l’on observe dans les derniers instants. Le virtuose est devenu artiste, enfin.

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo

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