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mercredi 6 mars 2019

Géants et jouets - Kyojin to gangu, Yasuzo Masumura (1958)


Devant la concurrence féroce que se livrent trois usines de caramels, l'attaché de presse de l'une d'entre elles découvre une jeune fille pauvre et décide d'en faire la star publicitaire de la marque.

Durant les années 50 le capitalisme moderne galopant et le règne des corporations inspire grandement la fiction, notamment dans la description d’une déshumanisation au service de la réussite matérielle forcenée. Cela donnera aux Etats-Unis quelques œuvres passionnantes où la satire La Blonde explosive de Frank Tashlin (1957), le drame L’Homme au complet gris de Nunally Johnson (1956) ou des immersions dans ces conglomérats avec La Tour des ambitieux de Robert Wise (1954) et Patterns de Fidler Cook (1956). Tous ces films américains prennent majoritairement l’angle intime en confrontant l’ambition aveugle des personnages aux maux qu’elle inflige à leur sphère intime. Au Japon cette description au vitriol des corporations fustige à la fois la tradition locale du salary man dévoué (dans un sous-genre d’abord littéraire appelé le keizai shōsetsu) mais également une perte d’identité nationale par l’intrusion de ce capitalisme sauvage occidental.

C’est tout le propos de Géants et jouets qui nous plonge dans la féroce concurrence de sociétés de confiserie au moment de sortir leur nouveau produit. Le jeune Nishi (Hiroshi Kawaguchi) est attaché de presse au sein World sous la responsabilité de son supérieur aux dents longues Goda (Hideo Takamatsu). L’introduction nous confronte d’emblée à la pression des chiffres où les cadres de World observe les courbes de ventes à la traîne de World face à la concurrence. Le rythme trépidant, les couleurs tapageuses et les environnements tapageurs traversés (bureaux en ébullitions, bars enfumés) donnent à voir un aperçu excitant de cette vie de salary man. Pourtant les sentiments se heurtent déjà à l’ambition sous le vernis chaleureux, la rivalité entre compagnies viciant de façon sous-jacente l’amitié de Nishi avec un ami d’enfance, ou la romance naissante avec Masami (Michiko Ono). Tout en essayant de jouer ce jeu (on s’amuse des scènes triviales ou les amis essaient de soutirer des informations à rapporter à leur boss), notre héros s’avère néanmoins trop « humain » et pas assez cyniquement déterminé pour gagner. 

Cela nous introduit au dévoiement global nécessaire à la réussite. Kyoko (Hitomi Nozoe), jeune fille des bas-fonds est ainsi embauchée pour l’authenticité qu’elle véhicule dans ses tares physiques (une dentition sinistrée) que dans son caractère écervelé. Cela en fait une marionnette facile à manipuler, et une figure à laquelle le public peut s’identifier après un savant travestissement en jeune adolescente niaise et innocente. Masumura apporte un constant contrepoint par le dialogue, la mise en scène et les situations au clinquant factice. Goda dont on sous-entend qu’il s’est marié par ambition (son épouse étant la fille de son supérieur) explique ainsi dans une scène que c’est ainsi que va le monde tandis qu’en arrière-plan son épouse marque un imperceptible temps d’arrêt en quittant la pièce. Masami écarte quant à elle une timide proposition de mariage de Nishi car son salaire est trop faible pour qu’elle puisse s’arrêter de travailler une fois mariée. Nishi par sa pureté s’avère trop maladroit quand il cherche à se montrer calculateur (la séduction poussive de Kyoko par nécessité publicitaire) et ne dépasse pas son modeste statut initial. Pour tous les autres c’est une bascule dans la monstruosité nécessaire parvenir en haut de l’échelle.

Masumura traduit cela par l’atmosphère nocturne dominante de la dernière partie du film, dans un Shinjuku aux néons oppressant en surimpression, dans la pénombre de bureaux déserts… La mutation est physique pour Goda réduit au zombie vomissant du sang à force de consommer des excitants, vestimentaire pour Kyoko qui gagne en élégance ce qu’elle a perdue en candeur. Conscients de ce qu’ils aspirent à être (Goda) ou de ce qu’ils sont devenus (Kyoko), les personnages s’avilissent dans des moments clés explicite (une scène de réunion ou Goda écrase son beau-père malade de ses ambitions) ou implicite avec une splendide scène de spectacle de danse de Kyoko à la froide assurance désormais. 

Un personnage invoquera la tradition du code bushido lors d’un dilemme moral à profiter d’une défaillance de la concurrence et se verra rire au nez. Le cynisme des affaires anglo-saxon se croise ainsi à au culte de la soumission du salary man japonais. Impossible d’en réchapper comme le montrera une magistrale dernière scène où en dernier recours Nishi devient littéralement ce qu’il vend aux yeux des autres. L’individu et ses aspirations n’ont plus cours, seuls compte la volonté de la corporation. L’aliénation au cœur de la filmographie de Yasuzo Masumura s’exprime de manière glaçante ici.

Sorti en bluray anglais et doté de sous-titres anglais chez Arrow

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