Pages

lundi 29 juillet 2019

Triple frontière - Triple Frontier, J. C. Chandor (2019)


À la frontière entre la Colombie, le Brésil et le Pérou (la Tres Fronteras), cinq amis réunis vont voir leur loyauté remise en question lorsqu'ils doivent faire tomber un baron de la drogue sud-américain. Ce qui ne sera pas sans de très lourdes conséquences.

J.C. Chandor aborde sous un angle plus musclé sa thématique du conflit moral et de la survie, au cœur de sa remarquable filmographie dans Margin Call (2011), All is lost (2013) ou encore A Most Violent Year (2014).  Le postulat en soit est assez classique du cinéma d’action et de guerre contemporain dans l’étude de ses soldats d’élite américains habitués des missions d’élite et des basses besognes pour le gouvernement. Rendus à la vie civile, ce sont des guerriers inadaptés au quotidien pouvant sombrer dans la dépression, monnayer leurs aptitudes dans la sécurité ou pire la criminalité. Chacun à leur manière des films aussi divers que Extrême préjudice de Walter Hill (1987), Rock de Michael Bay ou encore American Sniper de Clint Eastwood (2015) ont abordés le sujet. On comprend aisément aussi ce qui a pu intéresser Kathryn Bigelow sur ce projet qu’elle devait initialement réaliser, proche des préoccupations de son Démineurs (2009). 

Le scénario dépeint ainsi les cinq anciens frères d’armes Redfly (Ben Affleck), Pope (Oscar Isaac), William (Charlie Hunnam), Benny (Garrett Hedlund) et Catfish (Pedro Pascal) se retrouver pour une mission secrète. L’enjeu semble initialement moral et pécuniaire avec le hold-up de la forteresse d’un baron de la drogue sud-américain. Une bonne action qui sera de surcroit lucrative en somme, juste récompense pour ces soldats qui ont tant donné à perte pour leur pays. La vérité est que tous sont restés accroc à ce danger et cette adrénaline, sentiment qu’ils cherchent à étouffer (Ben Affleck réduit à la triste existence d’agent immobilier), contrôler (Charlie Hunnam narrant la brutalité importée à la vie civile à un groupe de jeune soldat) ou compenser avec Benny s’adonnant free fight. A la minute où ils daignent ne serait-ce qu’écouter la proposition de Pope, malgré les hésitations de certains, le sort en est jeté et l’on sait qu’ils accepteront. Chandor observe avec brio le professionnalisme méticuleux des préparatifs du coup et dans le même temps la complicité goguenarde (Affleck feignant ne pas avoir réfléchit à un plan d’action sous le rire de ses acolytes) du groupe enfin dans son élément. 

Cependant leurs campagnes les plus périlleuses ne relevaient pas d’un dessein individualiste même pour les actions les plus discutables (patriotisme en tête) et l’instinct de survie/entraînement guidaient le moindre de leurs actions. La mission relevant de maux bien plus personnels pour eux, les déraillements infimes s’accumulent (l’appât du gain en tête qui ne leur fait pas quitter les lieux assez tôt, occupés qu’ils sont à ramasser les billets) pour compromettre l’issue de l’entreprise. Ben Affleck présenté comme le protagoniste le plus fiable et rigoureux est remarquable de fébrilité sous une carrure impressionnante. Alors que l’on s’attend à une odyssée dans les ténèbres et la folie façon Sorcerer de William Friedkin (1978), Chandor en reste pourtant à un questionnement moral où le groupe vacillera entre son humanité et la seule cupidité. Il laisse une chance à ces personnages dans une hésitation typique de ses films précédents, en particulier les enjeux de réussite personnelle d’A Most Violent Year. Plutôt que le nihilisme annoncé, les héros retrouvent la lumière au fil de l’allègement contraint de leur charge en billet pour une autre, plus cruciale.

Les quelques moments nerveux de All is lost et A Most Violent Year (un course à pied haletante) avaient laissés entrevoir certaines aptitudes filmiques de Chandor pour l’action qui se confirment ici. Gestion de l’espace, caméra à l’épaule, cadrage heurté, tout souligne l’unité et l’efficacité létale du groupe en mission à travers plusieurs morceaux de bravoures remarquables comme l’assaut de la forteresse et la fuite finale désespérée. Les grands espaces montagneux et enneigés de la Cordillère des Andes, l’immensité étouffante de la jungle, servent autant une facette introspective et contemplative que l’idée d’un piège naturel qui se referme dans une logique morale sur les personnages. Haletant, réflexif et poignant, Triple Frontière est une belle réussite qui aurait largement mérité une sortie en salle. 

Disponible sur Netflix 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire