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vendredi 6 septembre 2019

Portrait de la jeune fille en feu - Céline Sciamma (2019)

1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.

Pour Céline Sciamma l’éveil aux sens est un des moteurs de l’émancipation des jeunes femmes tout au long de sa filmographie. Cela s’était exprimé jusqu’ici dans un contexte contemporain (Naissance des pieuvres, Bande de filles) mais n’en demeurait pas moins oppressant face à la différence (Tomboy). Portrait de la jeune fille en feu creuse le même sillon mais par le prisme du film d’époque qui rend cette échappée d’autant plus éphémère et précieuse.

Au 18e siècle, Héloïse (Adèle Haenel) est une jeune femme destinée à un mariage forcé dont sa seule opposition possible s’exprime par le refus de poser pour le portrait destiné à son futur époux milanais. La peintre Marianne est alors chargée de lui tenir compagnie et de tirer un portrait à son insu. Céline Sciamma oppose ces jeunes femmes du même âge par différents motifs. Le corps et les mouvements contraints par les robes et corsages tendus d’Héloïse déteignent sur son humeur sombre et ses attitudes renfrognées. A l’inverse la main sur son destin s’affirme d’emblée pour Marianne lorsqu’elle plonge chercher son matériel de peinture tombé en mer lors de son arrivée en barque. Ses premiers pas dans la maison et la révélation de son corps nu fumant la pipe au coin du feu viennent renforcer ce contrepoint libéré avec Héloïse. Cette dernière sort tout juste du couvent et ignore un monde que Marianne a eu la possibilité de parcourir et s’y nourrir d’expériences.

Pourtant le rapport des deux héroïnes ne bascule pas dans l’évolution attendue par l’expression de leurs sentiments naissants. Le vécu de Marianne la fait paradoxalement céder a une forme de convention tacite quand l’innocence d’Héloïse en fait un être bouillonnant intérieurement face à toutes les entraves à sa liberté. L’expression de cette dichotomie passe par les évolutions du tableau. Marianne ne dépasse initialement pas les exigences de la commande, capturant les attentes du futur époux sans saisir la vérité d’Héloïse ni « sa » vision de la jeune femme qui la trouble pourtant déjà. Sous l’inexpérience, la perspicacité d’Héloïse saisit cette faille et place son amie face à ses contradictions. Pour que le portrait peint soit enfin incarné, le rapprochement des personnages devra être désormais plus sincère.

Céline Sciamma excelle à capturer la découverte mutuelle des personnages qui s’articule par l’observation à la dérobée (quelle meilleure excuse que les jeux de regards entre l’artiste et son modèle ?), le dialogue ou la joute verbale s’entremêlent à la confession. Le rythme se fait lent, la tension érotique est aussi palpable dans l’atmosphère indicible dans les pulsions contenues. La jeune servante Sophie (Luàna Bajrami dont la candeur mystérieuse nous avait déjà saisis cette année dans L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier) incarne la prison sociale et morale que peuvent subir les femmes de cette époque, Héloïse et Marianne dans leur lien changeant contribuant finalement aussi à son éveil. Les rires espiègles inondent enfin l’austère demeure, les corps peuvent se rapprocher par une mise en scène délicate. La sensualité ne nait pas de l’exposition crue du rapport physique, mais de la manière dont Céline Sciamma fait des sentiments le moteur de chaque caresse. J’ai peur mais je connais les gestes dit Héloïse avant de s’abandonner naturellement malgré son innocence.

Les mots peuvent alors explicitement dire tout ce que l’on avait vu se jouer par des images poétique (la séquence ou la robe d’Héloïse s’enflamme) et allusives. L’œuvre d’art n’est plus le symbole explicite d’un trophée masculin mais celui du souvenir secret d’un amour féminin. Tout le lien à l’art exprimé dans le film contient ainsi les motifs de ce souvenir, au-delà même de la peinture. C’est l’allusion et l’interprétation du mythe d’Orphée et Eurydice, c’est le sens de la page 28 d’un livre et les notes tonitruantes d’un opéra. Malgré la séparation, Marianne et Héloïse ont conçu leur univers intime à travers leur amour. Sous les apparentes convenances, ce sont des jeunes filles en feu. Une œuvre magnifique portée par des actrices en état de grâce. 

En salle le 18 septembre 

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